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Dans le privé et le public, un syndicalisme de lutte pour la transformation sociale

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(re)Penser notre syndicalisme Conditions de travail

Retour sur la soirée “Avant de faire le tour du monde, faire le tour de l’atelier”

Cette soirée, accueillie par la librairie La Nouvelle Réserve et animée par Solidaires 78, en présence des auteurs de l’enquête ouvrière “Avant de faire le tour du monde, faire le tour de l’atelier”, a été une réussite, en ce qu’elle a permis de mettre en lumière la centralité de la condition ouvrière et la pertinence de son combat pour la transformation sociale. Des profils variés de travailleurs, chômeurs, retraités y ont assisté : ouvriers, enseignants, énergéticiens, AESH, soignants… sous le constat partagé d’une situation commune, celle du travail exploité et de la nécessité de la lutte.

Présentation de la démarche d’enquête

La Mouette Enragée est un collectif anarchiste-communiste de Boulogne-sur-Mer qui se définit comme mouvementiste : ils partent de leur participation aux luttes pour construire leur analyse, et interviennent dans ces luttes en tant qu’égaux.

Les premières enquêtes ouvrières ont été faites par la bourgeoisie, dans une volonté de coercition, car le passage forcé de la condition de paysans à celle d’ouvriers provoquait des remous et faisait des prolétaires nouvellement formés une classe dangereuse.

F. Engels puis K. Marx ont ensuite élaboré des enquêtes sur la vie des ouvriers, au travail ou en dehors, pour dresser un portrait de la classe ouvrière, tourné vers l’action. Celui de Marx était un questionnaire sous forme de 101 questions.

Dans les années qui suivent Mai 68, les opéraïstes italiens, Socialisme ou Barbarie et les Cahiers de Mai reprennent leur héritage en France. Enfin, plus récemment, des groupes comme Angry Workers au Royaume-Uni élaborent des enquêtes dans les lieux où ils travaillent, avec la participation des travailleurs. C’est de démarches de ce style que La Mouette Enragée s’inspire.

L’enquête

L’enquête menée par La Mouette Enragée n’est pas une enquête universitaire ni sociologique. Elle n’a pas de prétention scientifique, et elle est bénévole. Elle se fait dans une perspective de lutte de classe, au même niveau que les enquêtés, sans vision surplombante.

Elle cherche à remettre la classe ouvrière sur le devant de la scène, à l’heure où celle-ci se voit invisibilisée y compris par ceux qui se prétendent la défendre. La classe ouvrière est la classe qui produit de la plus value par le travail salarié exploité. L’enquête s’attache donc essentiellement aux travailleurs du privé. Cela ne veut pas dire que les travailleurs des services publics ne sont pas exploités, ou que la privatisation qui les affecte est négligeable. Il s’agit simplement d’un choix de méthode. Un autre choix relève des questions : elles concernent la production et non la reproduction, ce qui ne veut pas dire que les questions de logement, consommation, etc., ne sont pas intéressantes.

Le questionnaire se découpe en différentes parties (le poste, les nuisances, le temps de travail, le salaire, la hiérarchie, les collègues, les luttes…). Les témoignages étaient recueillis de différentes manières, avec des efficacités variables. Le papier et les QR codes n’ont pas été des réussites, alors que la distribution avec discussion de la main à la main ont bien mieux fonctionné. C’est à l’occasion de luttes que la collecte était le plus facile : les gens ont le temps de répondre quand le travail s’arrête.

Les territoires enquêtés sont le Boulonnais, la région lilloise et la Bretagne, dans des secteurs comme la santé, les centres d’appel, l’agro-alimentaire, la logistique, la construction navale, les coursiers à vélo. Des contacts syndicaux ont permis d’approcher certains secteurs, certains se sont montrés plus réticents (livraison à vélo, notamment à cause de la barrière de la langue), mais les luttes rendaient la parole sur le travail bien plus libre.

Les résultats

Quelques constats ressortent de cette enquête :

  • il faut en finir avec l’image de l’ouvrier d’usine, car la condition ouvrière est aujourd’hui largement partagée au delà, notamment dans le tertiaire
  • la transnationalisation et la financiarisation ont éloigné les capitalistes des travailleurs : on connaît de moins en moins son patron
  • l’exploitation s’est accrue rapidement ces dernières décennies, en même temps qu’une rigueur salariale redoutable. La mécanisation a accru le rythme du travail, même si les machines sont peu entretenues. L’exploitation est renforcée notamment dans les secteurs où la croissance des profits est plus difficile à obtenir
  • un recours accru à l’intérim, notamment en périodes tendues, mais parallèlement des tentatives de fidélisation de la main d’œuvre en CDI (logistique par exemple), car le coût est important, et les salariés démissionneront tant les conditions sont dures
  • le management a un poids important sur les salariés, et les collectifs de travail sont souvent brisés
  • pourtant, sur de nombreux lieux de travail, il existe toujours des réflexes de solidarité

Quelques perspectives

Depuis les années 70, la situation a beaucoup changé pour le prolétariat français : c’est la fin des grandes concentrations ouvrières, la main d’œuvre est atomisée dans des unités de production plus petites, la syndicalisation s’est effondrée, comme le nombre de jours de grève. La catégorie ouvriers de l’INSEE a reculé, alors que les professions intermédiaires et les cadres ont augmenté. Ces chiffres peuvent être trompeurs, car de nombreux travailleurs du tertiaire peuvent être considérés comme des ouvriers.

La thématique de la “souffrance au travail” est parallèlement devenue incontournable, alors que la dureté de la condition d’exploité n’a rien de nouveau : c’est qu’elle se généralise à des couches du salariat qui s’imaginaient jusque là épargnée. Certains, notamment dans les centres d’appel, la santé, disent “on est devenus une usine”.

La fin de la figure centrale de la classe ouvrière s’est accompagnée de la fin du programme politique de la classe ouvrière, représenté par ses partis et syndicats de masse, ainsi que du recul du sentiment d’appartenance de classe, de la solidarité et des socialités associées, au profit d’identités de consommation, communautaires, etc.

Pourtant, la disparition de la classe ouvrière est un fantasme, comme celui des usines sans ouvriers d’E. Musk. Le capitalisme est un rapport social : pour qu’il y ait du capital, il faut du travail, et vice-versa. Le salariat présuppose le patronat.

Toutefois, il n’y aura pas de retour en arrière, la réindustrialisation de la France est un mythe. Au niveau actuel de productivité et à l’heure d’une mondialisation jamais vue, la bourgeoisie française ne relancera pas les aciéries du Nord-Pas-de-Calais.

La Mouette Enragée propose donc l’enquête ouvrière comme un outil qui part de la centralité de la classe ouvrière, d’un point de vue ouvrier, pour faire une critique actualisée du travail et du capital, avec la classe ouvrière d’aujourd’hui.

La critique du travail a muté, aujourd’hui, les salariés semblent mettre à distance le travail, de façon individuelle : les salariés de call centers disent que leur travail ne sert à rien, ni à eux ni à la société, à Amazon, on admet être remplaçable, on lutte contre la déqualification, on recourt à l’absentéisme, à la grève pour justifier un retard, on ne vient même pas sur le piquet lors de grèves tellement on haït le lieu de travail… Une enquête sociologique de la bourgeoisie montre que moins de 2 salariés sur 10 se sentent engagés dans leur travail.

Échanges avec la salle

Des personnes ont regretté l’absence de questions spécifiques sur la condition des femmes, alors même qu’elles sont très représentées dans les réponses au questionnaire, voire largement majoritaires dans certains secteurs. Le questionnaire étant relativement ouvert et libre, les femmes étaient libres d’y répondre dans ce sens, et la discussion n’était pas cadrée. Certains passages du livre mentionnent le sexisme latent, comme à Vertbaudet pendant la grève. Le fait que les enquêtés étaient des hommes a toutefois certainement été un obstacle. Une autre explication est l’absence de conscience féministe chez beaucoup de travailleuses.

De même, la question de l’immigration n’a pas été abordée de manière plus dédiée, même si une question sur les différences de salaires dans boîte permettait d’aborder cette discrimination. Le secteur d’enquête est toutefois un lieu de relativement faible présence de travailleurs issus de l’immigration.

La méthode de constitution de la somme que constitue le livre, et de la durée du travail militant (2017-2023) a été posée. Le livre est majoritairement constitué du regroupement de travaux publiés dans le journal local de La Mouette Enragée, dans différents numéros.

Les contacts ont été obtenus par le biais de camarades locaux, l’implantation du groupe politique de La Mouette étant un atout. L’enquête ouvrière apparaît comme un formidable outil pour entrer dans la lutte avec les personnes concernées, pour faire du mouvementisme. La parole s’ouvre et le résultat est concret.

Le retour auprès des salariés à propos de l’enquête est en discussion, rien de spécifique n’ayant pour l’instant été organisé. Les enquêtés ont reçu le livre. Beaucoup ont changé de boulot, déménagés… à l’image du salariat éclaté d’aujourd’hui. Le contact est maintenu, mais la question de savoir quoi faire après le livre se pose.

Pour conclure, disons comme l’a souligné un membre du public : “on devrait tous êtres des enquêteurs !”.

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(re)Penser notre syndicalisme anti-validisme

La loi pour l’égalité des droits et des chances des personnes en situation de handicap a 20 ans : l’égalité n’est toujours pas là et n’est toujours pas la priorité du gouvernement !

L’accessibilité universelle (éducation, emploi, cadre bâti, logement, transport, numérique…) constitue le principe général qui préside à la loi du 11 février 2005 pour l’Egalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi a 20 ans et si des avancées ont été faites, les politiques menées sont loin d’être à la hauteur. Alors que l’inclusivité devrait être une urgence, ce n’est clairement pas le cas des gouvernements successifs des 20 dernières années.

L’accessibilité des lieux de travail ne s’est pas traduite par la publication de l’ensemble des décrets d’application, rendant depuis 20 ans compliqué le quotidien de nombre de personnes en situation de handicap pour trouver un emploi ou pour changer de travail quand elles en ont un.

Le taux de chômage des personnes en situation de handicap s’établit à 12% contre 7,5 % pour l’ensemble de la population, soit près du double. Or, les situations d’invalidité/handicap sont appelées à augmenter avec la réforme des retraites et le report de l’âge à 64 ans.

La moitié des personnes en situation de handicap de 15 à 59 ans vivent avec des revenus inférieurs à 1 512 € par mois. Et un quart dispose même de moins de 1 158 € par mois, ce qui les place en dessous du seuil de pauvreté

Concernant l’école inclusive, on est aussi loin du compte. Seulement 17% des personnes en situation de handicap d’âge actif ont un diplôme supérieur au bac contre 34 % de la population du même âge.

Pour Solidaires, l’obligation d’emploi des travailleurs et travailleuses en situation de handicap devrait être portée à 8 % au lieu des 6 % de la loi de 1987 (elle se traduit actuellement par un taux d’emploi de 3,5% dans le privé et 5,6% dans le public). De plus, l’autonomie des personnes en situation de handicap dépend aussi tant du logement que de la chaîne de déplacement (cadre bâti, voirie, aménagements des espaces publics, et intermodalité).

L’accessibilité, quel que soit le domaine, nécessite des crédits. Des moyens budgétaires à la hauteur doivent être alloués à la cause du handicap dont le Premier Ministre Bayrou a fait peu de cas dans sa déclaration de politique générale, appelant seulement à la réunion d’un comité interministériel du handicap, ce qui ne coûte rien…

Le second aspect important de la loi de février 2005 porte sur la compensation et les ressources des personnes en situation de handicap.

Certes, cette loi a créé la prestation de compensation du handicap, aide personnalisée visant à financer les besoins de compensation des personnes en situation de handicap au regard de leur projet de vie. Mais le constat reste affligeant : les démarches sont longues, fastidieuses, les interlocuteurs-trices multiples. C’est souvent un long parcours pour obtenir ses droits. En conséquence près de 20 % des adultes handicapés vivent sous le seuil de pauvreté contre 13% des personnes valides. Et beaucoup faute aides financières ou humaines n’ont des choix de vie que par défaut.

Solidaires revendique un revenu décent pour les personnes handicapées :

  • Pas de salaire en dessous du SMIC revendiqué à 2000 euros nets, y compris les travailleurs/euses des ESAT (établissement et service d’accompagnement par le travail.)
  • L’Allocation Adultes Handicapés (AAH) au niveau du SMIC, accessible dès 18 ans sans condition, avec un délai de traitement accéléré. Une véritable revalorisation des pensions d’invalidité.
  • Assouplir les conditions d’octroi de l’AAH ainsi que les autres droits et prestations accessibles via les Maisons départementales des Personnes Handicapées (MDPH)
  • Pour les salarié·es à temps partiel dû à la situation de handicap, le salaire et les cotisations sociales doivent être au même niveau qu’un temps complet, avec le complément financé par la solidarité nationale.

La question du logement adapté aux personnes à mobilité réduite (PMR) est une question cruciale, c’est pourquoi Solidaires revendique

  • L’abrogation la loi Elan qui a passé le taux de logement accessible PMR pour les logement neuf de 100 % à 20 %.
  • La construction et la réhabilitation de logements avec un accès PMR.
  • L’augmentation des aides pour la rénovation des logements PMR existants. Et facilité l’accès et l’octroie de celle-ci.

Force est de constater que l’inclusivité des personnes en situation de handicap, et leur accès à une pleine et entière citoyenneté est loin d’être acquise dans un contexte où le validisme demeure prégnant. Pour Solidaires, les personnes en situation de handicap doivent pouvoir décider de leur projet de vie et pour ce faire avoir l’autonomie et le choix.

Il faut sortir le handicap de son invisibilité et agir !

Solidaires appelle à participer aux diverses mobilisations qui ont lieu cette semaine pour les 20 ans de la loi égalité des droits et des chances des personnes en situation de handicap

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(re)Penser notre syndicalisme anti-validisme Conditions de travail Éducation Podcast Vidéo

À voir ou écouter, des webinaires antivalidistes !

À l’occasion des 20 ans de la loi 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la fédération SUD éducation a organisé 4 webinaires extrêmement riches.

Voici une rapide présentation de ces webinaires, que nous ne pouvons qu’encourager à consulter pour se former, se questionner et prendre conscience de ce système d’oppression.

20 ans de la loi de 2005 : qu’est-ce que le validisme ?

C’est une entrée en matière très dense et très riche, mais très claire. Les camarades de SUD éducation, qui ont fait un condensé de recherches et de lectures de productions de personnes handicapées, expliquent comment le validisme entraîne des représentations erronées des personnes handicapées, donne lieu à des relations biaisée avec les personnes valides, génère l’intériorisation du validisme par les personnes handicapées. Elle et il expliquent également comment le validisme engendre la précarisation systémique des personnes handicapées et un accès empêché aux droits éléments de toutes et tous. C’est une vidéo introductive d’une quarantaine de minutes indispensable !

La loi de 2005, 20 ans après, l’heure du bilan

Ici, avec la participation de personnes militantes directement concernées par le handicap, on aborde les avancées, reculs et poudre aux yeux depuis la loi 2005, avec un focus très fort sur les associations gestionnaires d’institutions spécialisées, qui transforment le handicap en business, et la façon dont tout est fait pour empêcher l’autodétermination des personnes handicapées, considérées uniquement sous le prisme de leurs handicaps, de leurs manques, qui deviennent des prétextes pour leur retirer de nombreux droits, dont celui de décider et de vivre librement, et non enfermées (l’ONU rappelle régulièrement à la France à l’ordre : les institutions spécialisées comme les IME sont des lieux d’enfermement et de privation de libertés). Les deux intervenantEs expliquent ce que c’est qu’une vie autonome, quelles sont leurs revendications, et comment l’organisation sociale les en empêche.

École inclusive : comparaisons internationales

Là de nouveau, ce sont les camarades de SUD éducation qui transmettent de manière très pédagogique le fruit de leurs nombreuses recherches : comment ça se passe dans les autres pays, et en particulier en Europe ? Quelles évolutions historiques dans la scolarisation des enfants handicapéEs ? Quels droits internationaux conquis par les luttes des personnes handicapées, quels droits nationaux et surtout quelle effectivité de ces droits ? En quoi l’Allemagne, la Belgique ou le Danemark poursuivent-ils une politique ségrégative à l’égard des enfants handicapéEs ? Comment ça fonctionne en Italie, où 99 % des enfants handicapéEs sont scolariséEs en milieu ordinaire ? Est-ce un modèle ? Et la France dans tout ça ? Quels enjeux pour nos luttes aujourd’hui ?

Comment faire une école pour toutes et tous ?

Avec des militantEs antivalidistes, on se pose les questions suivantes : aujourd’hui, où en est l’école française avec la scolarisation d’enfants handicapéEs ? Quels freins, quels leviers ? Quelle place pour les collègues handicapéEs, également ? Comment les associations gestionnaires commencent-elles à s’immiscer dans l’éducation nationale ? Quelles revendications porter pour l’accès à l’autonomie de toustes et le respect des droits fondamentaux des enfants, quelles que soient leurs origines, leur condition sociale ou encore leur handicap ?

En bonus, on peut signaler la très belle brochure de SUD éducation vient de sortir pour appuyer ces webinaires,

[Brochure n°99] Scolarisation et handicap – SUD éducation

En complément de la précédente : Brochure École, inclusion et handicap – SUD éducation

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(re)Penser notre syndicalisme Conditions de travail Défense de nos libertés

Lancement de la coalition Hiatus, pour résister à l’IA et son monde !

Ce texte est le manifeste fondateur de « Hiatus », une coalition composée d’une diversité d’organisations de la société civile française qui entendent résister au déploiement massif et généralisé de l’intelligence artificielle (IA). À l’approche du sommet sur l’IA organisé par la France, les 10 et 11 février 2025, le lancement de Hiatus vise à dénoncer l’inféodation des politiques publiques aux intérêts de la tech, ainsi que les coûts humains et environnementaux de l’IA. Au cours des mois à venir, des actions communes seront organisées pour décliner ce manifeste sur le plan politique.

Tout concourt à ériger le déploiement massif de l’intelligence artificielle en priorité politique. Prolongeant les discours qui ont accompagné l’informatisation depuis plus d’un demi-siècle, les promesses abondent pour conférer à l’IA des vertus révolutionnaires et imposer l’idée que, moyennant la prise en compte de certains risques, elle serait nécessairement vecteur de progrès. C’est donc l’ensemble de la société qui est sommée de s’adapter pour se mettre à la page de ce nouveau mot d’ordre industriel et technocratique. Partout dans les services publics, l’IA est ainsi amenée à proliférer au prix d’une dépendance technologique accrue. Partout dans les entreprises, les managers appellent à recourir à l’IA pour « optimiser » le travail. Partout dans les foyers, au nom de la commodité et d’une course insensée à la productivité, nous sommes poussés à l’adopter.

Pourtant, sans préjuger de certaines applications spécifiques et de la possibilité qu’elles puissent effectivement répondre à l’intérêt général, comment ignorer que ces innovations ont été rendues possible par une formidable accumulation de données, de capitaux et de ressources sous l’égide des multinationales de la tech et du complexe militaro-industriel ? Que pour être menées à bien, elles requièrent notamment de multiplier la puissance des puces graphiques et des centres de données, avec une intensification de l’extraction de matières premières, de l’usage des ressources en eau et en énergie ?

Comment ne pas voir qu’en tant que paradigme industriel, l’IA a dores et déjà des conséquences désastreuses ? Qu’en pratique, elle se traduit par l’intensification de l’exploitation des travailleurs et travailleuses qui participent au développement et à la maintenance de ses infrastructures, notamment dans les pays du Sud global où elle prolonge des dynamiques néo-coloniales ? Qu’en aval, elle est le plus souvent imposée sans réelle prise en compte de ses impacts délétères sur les droits humains et l’exacerbation des discriminations telles que celles fondées sur le genre, la classe ou la race ? Que de l’agriculture aux métiers artistiques en passant par bien d’autres secteurs professionnels, elle amplifie le processus de déqualification et de dépossession vis-à-vis de l’outil de travail, tout en renforçant le contrôle managérial ? Que dans l’action publique, elle agit en symbiose avec les politiques d’austérité qui sapent la justice socio-économique ? Que la délégation croissante de fonctions sociales cruciales à des systèmes d’IA, par exemple dans le domaine de la santé ou l’éducation, risque d’avoir des conséquences anthropologiques, sanitaires et sociales majeures sur lesquelles nous n’avons aujourd’hui aucun recul ?

Or, au lieu d’affronter ces problèmes, les politiques publiques menées aujourd’hui en France et en Europe semblent essentiellement conçues pour conforter la fuite en avant de l’intelligence artificielle. C’est notamment le cas de l’AI Act adopté par l’Union européenne et présenté comme une réglementation efficace alors qu’elle cherche en réalité à promouvoir un marché en plein essor. Pour justifier cet aveuglement et faire taire les critiques, c’est l’argument de la compétition géopolitique qui est le plus souvent mobilisé. À longueur de rapports, l’IA apparaît ainsi comme le marchepied d’un nouveau cycle d’expansion capitaliste, et l’on propose d’inonder le secteur d’argent public pour permettre à l’Europe de se maintenir dans la course face aux États-Unis et à la Chine.

Ces politiques sont absurdes, puisque tout laisse à penser que le retard de l’Europe dans ce domaine ne pourra pas être rattrapé, et que cette course est donc perdue d’avance. Surtout, elles sont dangereuses dans la mesure où, loin de constituer la technologie salvatrice souvent mise en avant, l’IA accélère au contraire le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs. Elle est de plus en plus ouvertement mise au service de projets autoritaires et impérialistes. Non seulement le paradigme actuel nous enferme dans une course technologique insoutenable, mais il nous empêche aussi d’inventer des politiques émancipatrices en phase avec les enjeux écologiques.

La prolifération de l’IA a beau être présentée comme inéluctable, nous ne voulons pas nous résigner. Contre la stratégie du fait accompli, contre les multiples impensés qui imposent et légitiment son déploiement, nous exigeons une maîtrise démocratique de cette technologie et une limitation drastique de ses usages, afin de faire primer les droits humains, sociaux et environnementaux.

Premiers signataires :

La Quadrature du Net, la LDH, Union syndicale Solidaires, Scientifiques en rébellion, L’Atelier Paysan, Féministes contre le cyberharcèlement, SNES-FSU, Framasoft, Agir pour l’environnement, Attac France, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des Avocats de France, Stop Micro, Le Nuage était sous nos pieds, Génération Lumière, Halte au contrôle numérique, ritimo, Intérêt à Agir, L’Observatoire des multinationales, Sherpa, Le Mouton numérique, Lève les yeux.

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Mercredi 5 février – Invitation à la soirée 10 ans des Utopiques/ 25 ans de Solidaires

Publié le 29 janvier 2025

La revue des Utopiques a déjà 10 ans, et participe activement à donner du contenu politique, de réflexion, pour échanger librement sur le mouvement syndical, social dans un esprit d’ouverture.

Une soirée utile et conviviale avec la présence d’Annick Coupé et de Gérard Gourguechon notamment, ainsi que des contributeur-trices à la revue pour revenir sur la fondation de Solidaires et bien plus largement sur le rôle et l’importance du syndicalisme de lutte et de transformation sociale, dans un contexte mondial de plus en plus inquiétant !

Venez nombreux- nombreuses!

Inscription obligatoire via ce lien https://framaforms.org/participation-a-la-soiree-10-ans-des-utopiques-1736344533

18h-30 Accueil

18h-45 Brève présentation de 10 ans des Utopiques des Utopiques

en présence des contributeurs-trices à la revue depuis 2014! et quelle évolution pour la revue?

puis Interventions d’Annick Coupé, et Gérard Gourguechon fondateur-trice de Solidaires notamment, qui reviendront sur l’histoire de Solidaires, avec une mise en perspective sur Solidaires actuellement, avec Judy, qui a écrit “j’ai 25 ans, Solidaires aussi ”!

19h30 à 20h30 débat avec les participant-es

20h30 Apéro gratuit

C’est le : Le 5 février prochain, à partir de 18h30 à Solidaires, 31 rue de la Grange aux belles 75010 Paris

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Vendredi 7 février à Limay : rencontre avec le groupe La Mouette enragée autour de son enquête ouvrière

Le travail, on l’aime ou on le déteste, mais c’est toujours du travail. Du temps et de l’énergie qu’on échange contre un salaire. C’est une réalité que nous sommes une grosse majorité à vivre et, de plus en plus, à subir.

Nous produisons à manger, nous soignons, nous nous occupons des enfants, des personnes dépendantes, nous transportons des gens, nous construisons des bâtiments, nous livrons… Pourtant, alors que nous faisons tourner la société, rares sont les moments où on entend notre parole de travailleurs et travailleuses.

C’est de cette réalité, celle du travail, partagée et pourtant silencieuse, que nous vous invitons à discuter. Celle qui occupe chaque jour nos corps et nos esprits, qui tour à tour nous fait plier, nous rend fiers, nous révolte, nous blesse, et parfois nous tue…

À partir d’une enquête ouvrière, les travailleurs du groupe militant La Mouette enragée ont récolté des témoignages de salariés de différents secteurs professionnels pour interroger le travail aujourd’hui, rassemblés dans le livre « Avant de faire le tour du monde, faire le tour de l’atelier,n ». Qu’est-ce qu’un travail ouvrier en 2025 ? Les PME sont-elles différentes des grosses boîtes ? Que cache l’ubérisation ? Comment résister sur son lieu de travail ?

Nous vous invitons à en discuter le vendredi 7 février 2025 à 19h la Librairie La Nouvelle Réserve à Limay.
Entrée libre et gratuite

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Le 10 février Contre-sommet de l’IA : pour un humanisme de notre temps

Paris, Théâtre de la Concorde, le 10 février, de 14 h à 20 h 30.

Les 10 et 11 février, va se tenir à Paris, au Grand Palais, le « Sommet pour l’Action sur l’intelligence artificielle ». Une cérémonie qui réunira une centaine de chefs d’État, qui vont rivaliser d’annonces d’investissements visant à faire de leurs pays des « champions de l’IA ». Mais aussi les grandes figures de l’industrie du numérique, Elon Musk et Sam Altman, parmi d’autres, qui vont asséner l’éternel refrain des formidables « opportunités » offertes par l’automatisation sans cesse croissante des affaires humaines. (…)

Face à ce qui s’annonce comme une gigantesque messe propagandiste, il nous a paru impératif de donner toute sa place aux forces de la société civile, en montant un « contre-sommet de l’IA ». Celui-ci est fondé sur une double philosophie : le témoignage et la mobilisation. Sont invités des membres issus de diverses corporations à faire le récit des réalités concrètes vécues du fait de l’implantation de systèmes d’IA (dans l’enseignement, le monde du travail, les métiers de la culture et de l’information…). Il sera également fait un tableau de l’impact environnemental induit. Enfin, il sera fait part des formes de mobilisation déjà amorcées, autant que seront envisagées les perspectives de les étendre. (…)

Cet événement a été pensé, à l’origine, par le philosophe Éric Sadin (spécialiste des technologies numériques et de l’intelligence artificielle), auquel s’est associé le Syndicat national des journalistes, à travers son référent IA générative Éric Barbier, journaliste à L’Est Républicain, très mobilisés, depuis la première heure sur ces enjeux et soutiens actifs à la mise en place de notre sommet. Nous avons décidé de lui donner pour titre « Pour un humanisme de notre temps ».

L’événement se tiendra le lundi 10 février, de 14 heures à 20 h 30, au Théâtre de la Concorde, à Paris. Dirigé par Elsa Boublil, le Théâtre de la Concorde s’est donné pour mission de conjuguer l’art et la démocratie. En prise avec l’actualité, il propose des spectacles, mais aussi des ateliers pédagogiques et des scènes ouvertes.
Lire le communiqué en entier sur notre site et en pièce jointe.
Syndicat national des journalistes
snj@snj.fr – http://www.snj.fr

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(re)Penser notre syndicalisme antifascisme

Ces syndicats qui combattent l’extrême droite dans leurs rangs… Certains sont plus fermement antifascistes que d’autres

Un article de Street press

Par Daphné Deschamps

Depuis quelques années, les syndicats français sont frappés par la montée de l’extrême droite dans leurs rangs, malgré une histoire et des valeurs ancrées à gauche. Toutes les formations ne font pas preuve de la même intransigeance.

L’annonce a provoqué un coup de tonnerre dans le petit milieu des syndicalistes de l’Assemblée nationale avant les fêtes. Au Palais Bourbon, la section de la confédération chrétienne CFTC a nommé à sa direction Rémi Scholtz, attaché parlementaire affilié au député du Rassemblement national (RN) Timothée Houssin. L’info, révélée par Challenges, a déclenché une levée de boucliers chez les autres mouvements de l’Hémicycle et un casse-tête pour la CFTC. Déjà, car la confédération n’est pas sûre que l’homme soit adhérent… « On ne sait pas quoi faire, peut-être qu’il n’a pas encore été intégré dans nos fichiers, mais cela nous met en porte-à-faux avec les autres syndicats de l’Assemblée nationale. Si son adhésion est confirmée, on traitera la question avec attention », assure son président Cyril Chabanier. La CFTC a pris position contre le RN en 2022, mais ne souhaite pas exclure ses militants tant qu’ils ne soutiennent pas ouvertement le programme du parti lepéniste ou tiennent des propos racistes. « Les collaborateurs parlementaires font un métier difficile, qui mérite d’être défendu, et tous peuvent se syndiquer chez nous. Nous ne demandons jamais à nos adhérents leur couleur politique. Par contre, s’ils prennent des positions qui vont à l’encontre des valeurs de la CFTC, nous les exclurons sans aucun problème », certifie-t-il.

Le profil de Rémi Scholtz laisse peu de doute quant à son positionnement sur l’échiquier politique : auteur d’un livre sur son vécu chez les Scouts d’Europe, souvent accusés de traditionalisme, voire d’intégrisme, il est allé en faire la promotion dans des médias marqués à l’extrême droite : Boulevard Voltaire, Valeurs actuelles ou encore la webtélé identitaire TV Libertés. Il s’est aussi fendu d’un long entretien sur la chaîne YouTube du mouvement national-catholique Academia Christiana, pas vraiment en accord avec les valeurs plutôt « cathos de gauche » du syndicat.

Plus l’extrême droite se normalise et progresse dans les bureaux de vote, plus les cas comme Rémi Scholtz se multiplient. Un sacré dilemme pour leurs centrales, alors que la plupart sont opposées à l’extrême droite ou au Front national (FN) depuis des années, parfois dès les années 1930 pour la Confédération générale du travail. StreetPress a sondé une dizaine de syndicats pour connaître leurs façons de lutter, entre ceux prêts à se couper d’une partie de leurs membres, ceux qui sont dans le dialogue et la formation, et ceux qui s’en cognent. Tour d’horizon.

Viens me le dire au local

Pendant les législatives, la CFDT a recensé pas moins de huit de leurs adhérents qui se sont présentés à la députation sous une étiquette d’extrême droite. L’un d’eux a même été élu : Maxime Amblard. Il incarne désormais la première circonscription de la Meuse, sur les bancs du RN. Ces huit candidats ont tous été exclus de leur confédération, tout comme une suppléante qui militait à la CGT. À l’inverse, un surveillant pénitentiaire encarté chez Force ouvrière a été candidat suppléant du parti lepéniste dans les Hautes-Pyrénées, sans être écarté.

« Les syndicats se débrouillent en général en autonomie », lance Thierry, adhérent de Sud Collectivités territoriales.

« Les sections qui ont 700-800 adhérents ont des structures adaptées, mais plus elle est petite, plus c’est compliqué. »

Dans le milieu, un des premiers cas médiatisés a eu lieu à la CGT en janvier 2011. Fabien Engelmann est alors secrétaire de la section de Nilvange (57). Sauf qu’il se présente aussi aux élections cantonales sous la bannière FN et défend publiquement leurs thèses et leurs propositions, y compris les plus racistes. Le syndicat entame immédiatement une procédure d’exclusion à son encontre. Problème réglé ? Pas vraiment : sa section le soutient, et la CGT se retrouve obligée d’exclure ses 27 membres, alors qu’Engelmann porte plainte pour discrimination politique contre la Cégète. Devenu maire FN d’Hayange (57) en 2014, il mène depuis dix ans des politiques anti-sociales, racistes et islamophobes.

Plus récemment, le syndicat Solidaires Finances publiques a tenté d’exclure localement un militant antivax de Dijon (21). Mais celui-ci, soutenu par le bureau local, a argué qu’il n’était « pas facho, juste antivax », et s’est même invité à des réunions nationales pour défendre son cas. Dans le Vaucluse, une section de Sud Solidaires Routes a été « défédéralisée », comprenez exclue, en 2018, après de multiples publications racistes au sujet de la situation migratoire à Calais. « Le vote s’est fait immédiatement, et à l’unanimité », se souvient Thierry, syndicaliste au sein de Sud Collectivités Territoriales. Ce dernier se rappelle de deux militants exclus il y a quatre ans. L’une expliquait qu’il « fallait parler à tout le monde », l’autre « trouvait carrément que Marine Le Pen était super ». « On a bien fait, puisqu’on les a retrouvées défendant la ligne “Tout sauf Macron” pendant le second tour des élections présidentielles de 2022 », continue Thierry.

Dans la Sarthe, un cadre du Snepap, le syndicat des personnels de l’administration pénitentiaire de la Fédération syndicale unitaire (FSU), s’est pris en photo avec Marion Maréchal-Le Pen en pleine campagne aux européennes de 2024, raconte Joscelin Gutterman, membre du collectif intersyndical Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA). Sa ligne de défense, « je parle à tout le monde, je ne fais pas de politique et, de toute façon, ils seront bientôt au pouvoir », lui a valu une désolidarisation de la FSU, qui a indiqué gérer ça « en interne ».

Le cas FO

Parmi les syndicats, plusieurs sont pointés du doigt pour leur passivité, dont Force ouvrière (FO). La confédération ne voit pas d’inconvénient à ce que certains de ses adhérents se présentent sous les couleurs de l’extrême droite, tant que la responsabilité syndicale n’est pas un argument de campagne. Deux de ses cadres font par exemple partie de la majorité d’extrême droite du maire de Béziers (34), Robert Ménard, depuis des années, comme StreetPress le révélait en 2024.

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La ligne du mouvement repose sur une lecture très critiquée par les autres organisations qui se revendiquent de la charte d’Amiens (80), un des textes fondateurs du syndicalisme de lutte. Celle-ci définit notamment le syndicat de lutte comme indépendant des partis politiques. La preuve pour FO qu’elle n’a aucun droit de regard sur les positions de ses adhérents. « La charte d’Amiens, c’est un cache-sexe », soupire un salarié de la confédération. Ce dernier assure qu’en interne, « plusieurs responsables syndicaux sont identifiés comme intellectuellement proches du RN, mais tout le monde s’en fout » :

« On a un vrai problème de renouvellement des cadres, on fait avec ce qu’on a et on prend des gens de plus en plus poreux. »

Il poursuit : « La réalité de l’engagement syndical fait qu’on va avoir de plus en plus de cas de ce type. Le vrai problème, c’est l’acceptation institutionnelle. Qu’est-ce qui justifie d’accepter de discuter avec les députés RN, alors qu’avant, c’était pas le cas ? »

En octobre dernier, lors d’un meeting organisé à la Mutualité, le secrétaire général de FO Frédéric Souillot aurait même déclaré qu’il fallait voter la motion de censure RN du gouvernement « les yeux fermés » :

« Ça envoie un signal fort, surtout que nous avions théorisé six mois avant qu’il ne fallait pas prendre position aux législatives pour préserver notre indépendance… »

Les élus RN mènent une politique anti-sociale

Le dialogue avec les élus d’extrême droite, de plus en plus nombreux, est une véritable problématique pour les syndicats. Un militant de Solidaire explique :

« Quand tu as une usine menacée de fermeture dans un département où tous les députés sont au RN, c’est compliqué de dire aux salariés en grève : “Non, on ne leur parlera pas”. »

« L’avantage, c’est qu’ils y vont pas trop pour le moment, mais la question s’est déjà posée », souffle un élu CGT d’une usine métallurgique. « Les élus RN mènent une politique anti-sociale, ils n’ont rien à faire là, car ils ne défendent pas réellement les travailleurs », explique Aurélien Boudon, secrétaire national de Solidaires. Il renchérit :

« Notre objectif sera toujours de les chasser, mais ce n’est pas toujours simple, surtout face à un discours du type : “Tous les soutiens sont bons à prendre”. Les chasser sans pédagogie auprès des travailleurs, c’est presque contre-productif. »

Même questionnement en cas de nomination d’un gouvernement d’extrême droite. « La question du boycott ou non de réunions ministérielles est en débat », avance Aurélien Boudon. Néanmoins, pour les syndicalistes dans la fonction publique, cela signifierait refuser de rencontrer son employeur. Une gageure quand un mouvement veut défendre les salariés et a besoin de dialoguer… avec les patrons. Une problématique qui existe déjà dans les villes et métropoles dirigées par le RN.

Dialogue et formation

Face à la montée de l’extrême droite, les syndicats locaux sont de plus en plus nombreux à chercher des solutions pour former leurs militants et s’armer intellectuellement. 308 sections de la CGT, CFDT ou Solidaires se tournent par exemple vers le collectif antifasciste VISA, qui existe depuis 1996. « Depuis 2022, nous avons doublé notre volume d’adhérents, avec une première vague suite aux élections de 2022, une deuxième après le congrès de la CGT en 2023, et une troisième après les dernières législatives, où à peu près une quarantaine de syndicats nous ont rejoint », pointe Joscelin Gutterman, membre du conseil d’administration de VISA et cheminot syndiqué à Sud Rail.

Le collectif a « énormément de demandes de formations ou d’interventions à des congrès locaux ». VISA effectue aussi une veille pour vérifier si des militants de la mouvance sont dans les syndicats.

« On tient toujours à appuyer sur la différence de traitement à accorder, selon les cas : le militant est-il candidat à des élections sous l’étiquette d’un parti d’extrême droite, ou partage-t-il simplement ses idées ? Est-il possible de le faire sortir de ce logiciel ? »

L’organisation contacte régulièrement les syndicats pour les alerter sur la présence de tels profils dans leurs rangs, avec plus ou moins de succès. Joscelin Gutterman pointe trois « cas de figure » : « Soit le syndicat concerné réagit directement, il lance en général une procédure d’exclusion qui se gère en interne. Soit on ne reçoit tout simplement pas de réponse et dans ce cas, on relance, à différents niveaux, avant de publiciser l’affaire en dernier recours. » Dernière possibilité :

« Ou alors, on reçoit des insultes, on se fait traiter de censeurs, de fascistes… »

Et, selon à quel syndicat écrit VISA, ils savent « plus ou moins à quelle réponse s’attendre à l’avance ». Les relations sont particulièrement tendues avec FO et la CFE-CGC. Pour la seconde, les crispations ont récemment concerné leur affilié Action et démocratie, un syndicat de l’Éducation nationale. Son secrétaire fédéral, Joost Fernandez, est adhérent Reconquête et même responsable du « pôle école » du parti d’Eric Zemmour. Alerté, VISA a prévenu le mouvement. Dans un mail que StreetPress a pu consulter, le président d’Action et démocratie a répondu que son organisation se revendiquait d’une « neutralité politique ». Et que si les adhérents « ont fort heureusement leur propre sensibilité », la direction « ne veut pas la connaître, car cela n’a aucun intérêt quand ces personnes sont animées par le désir d’aider leur prochain ». Vu le programme du parti zemmouriste, c’est une certaine idée du prochain. La CFE-CGC, à qui une copie de tous les échanges a été adressée, n’a jamais répondu.

À l’inverse, contacté après des prises de position de l’UNSA Police au sujet des révoltes après le meurtre de Nahel Merzouk en juin 2023 à Nanterre, le secrétaire de l’UNSA a répondu à VISA en prenant au sérieux le courrier, et en se dissociant publiquement de ces propos.

La crainte d’entrisme

Pour tous ces syndicalistes, l’inquiétude reste la même : pour le moment, le Rassemblement national n’a pas lancé de stratégie d’entrisme dans leurs rangs. Mais que se passera-t-il si c’est le cas ? Cela peut mener à des explosions dans certains syndicats, surtout « les moins solides sur leurs appuis antifascistes ». D’où l’urgence pour VISA de continuer son travail. « En 2024, nous avons touché 3.000 personnes, dont 1.000 en formations. Sur les dix dernières années, ce sont 10.000 syndicalistes qui ont rencontré notre organisation », calcule Joscelin Gutterman. Avec une pointe d’amertume dans la voix, il conclut :

« Même si on se félicite de l’existence d’une prise de conscience, on est comme les Restos du Coeur : si de plus en plus de gens ont besoin de nous, c’est que le problème s’accentue. »

Contactés, FO, CFE-CGC, le Medef et l’UNSA n’ont pas répondu aux questions de StreetPress. Pas plus que le RN.

Illustration de Caroline Varon.

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