Renault écrête chaque année des dizaines de milliers d’heures de travail capitalisées par les salariés de Guyancourt et d’Aubevoye en Horaire Variable. Du travail dissimulé dénoncé par SUD qui a assigné Renault en justice. Le Tribunal judiciaire de Nanterre rendra son verdict le 29 novembre 2021.
L’écrêtage des heures des compteurs horaire variable est une pratique illégale :
SUD a assigné la direction de Renault en justice pour travail dissimulé
Il y a quelques années à l’issue de plusieurs suicides et de 3 condamnations pour faute inexcusable, la direction de Renault a été contrainte de mettre en place un décompte de la durée du temps de travail dans l’établissement.
En 2011, un accord sur la « Maitrise du Temps de Travail (MTT) et la mise en place d’Horaires Variables » a donc été signé avec les syndicats CFDT et CFE-CGC, afin de mettre fin à tous les agissements illégaux constatés : absence de contrôle du temps de travail, amplitudes de journée anormales, non-respect des temps de repos, inexistence des temps de pause.
Au fil du temps, nous avons observé que cet accord, qui a introduit le badgeage, a échoué durablement puisqu’il n’a jamais mis en échec le dépassement horaire massif.
Rien de surprenant à cela puisque la question de la charge de travail a toujours été soigneusement écartée des discussions.
On peut même avancer aujourd’hui que l’accord a rogné ses intentions pour devenir une implacable mécanique profitable, car en même temps qu’il autorise une souplesse pour les salariés qui en ont besoin, le système a aussi permis à la direction de RENAULT d’encaisser des milliers d’heures de travail gratuites, en faisant travailler les salariés de l’établissement au-delà de leurs horaires habituels et en écrêtant purement et simplement ces dépassements horaires.
Signalons au passage que cet accord ne concerne que les techniciens ETAM et APR, puisque les Ingénieurs et Cadres forfaitisés en jours en sont exclus. Ces derniers représentent 70% du personnel et sont pourtant largement impactés par l’accroissement de la durée de travail.
Au moins 120 000 heures perdues pour les salariés
En cinq ans, 120 170 heures cumulées ont été écrêtées et perdues pour les salariés.
2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | Total | |
Nombre d’heures écrêtées | 17 637 | 24 758 | 27 488 | 25 937 | 24 350 | 120 170 |
Les chiffres de l’année 2020 n’ont pas encore été donnés par la direction de l’établissement de Guyancourt/Aubevoye.
Dans un premier temps, la direction a intentionnellement dissimulé ces chiffres aux élus. Puis lorsqu’elle s’est vue contrainte de les communiquer, elle a tenté de minimiser les faits.
Elle a aussi repoussé les questions des élus SUD et a refusé notre demande de renégociation de l’accord. Il est devenu clair que tandis que nous insistions pour débattre des solutions permettant d’éradiquer ce dépassement horaire que nous estimions illégal, la direction entendait l’institutionnaliser.
Tout cela se déroulant sous le regard des syndicats signataires tantôt impuissants à apporter les ajustements efficaces et nécessaires, tantôt venant carrément au secours de la direction.
Toute heure travaillée doit être payée ou récupérée
Pour SUD Renault, ces 120 170 heures représentent autant d’embauches non réalisées, de CDI fantômes, et finalement caractérisent un flagrant délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié en ayant recours à un système d’écrêtage des heures de travail de ces salariés.
L’affaire a été plaidée au Tribunal Judiciaire de Nanterre mardi 5 octobre 2021. Au cours de l’audience, SUD a demandé l’interdiction de l’écrêtage que nous jugeons illégal et non conventionnel, et réclamé la condamnation de Renault pour les 120 000 heures supplémentaires non payées.
La direction avait connaissance de cet énorme dépassement horaire. S’abstenir de le rémunérer représente un caractère intentionnel de travail dissimulé. L’écrêtage représente quant à lui l’élément matériel constitutif de l’infraction.
En nous appuyant sur un arrêt de la Cour de Justice Européenne de 2019, nous avons également exigé que le respect du temps de travail soit aussi incontournable pour les ingénieurs & cadres, et qu’en mettant en place les compteurs HV pour l’ensemble de la population au forfait jours, ces derniers pourront mieux gérer leur implication (importante) dans l’entreprise.
Pour sa défense, l’avocate de Renault s’est retranché derrière les termes de l’accord MTT, invoquant tour à tour les efforts de la direction dans d’innombrables réunions avec les RH, hiérarchies et toutes sortes de formations pour tenter de réduire le dépassement horaire (sans jamais y parvenir), et la carence déloyale des salariés qui devraient respecter leurs horaires de travail avec un peu plus de discipline !
Que dit l’URSAFF à propos de ces 120 000 heures non déclarées a interrogé un des juges ? Ce qui a mit l’avocate de Renault dans un certain embarras.
A l’évidence, la direction de Renault s’est bien gardée d’informer toute autorité, URSAFF ou inspection du travail, pour s’éviter un recadrage brutal. Tactique bien connue du pas vu, pas pris.
Les juges ont aussi rappelé certaines obligations, comme le respect du temps de travail et du temps de repos, ou l’adaptation de la charge de travail aux horaires, qui ne reposent pas uniquement sur les salariés, mais s’imposent surtout aux employeurs.
Le tribunal de Nanterre rendra son jugement le 29 novembre prochain.