L’Union syndicale Solidaires Yvelines a appris via la presse le projet porté par l’État de construire une maison d’arrêt de 700 places à Magnanville, proche du lycée Senghor. Notre Union s’oppose vivement à ce projet et demande son abandon immédiat pour diverses raisons :
1) Cette construction ne résoudra pas le problème de la surpopulation carcérale et des conditions de détention
En plus du centre de détention de mineurs de Porcheville, Magnanville deviendrait la quatrième prison des Yvelines avec la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (900 détenus), la maison d’arrêt pour femmes de Versailles (150 détenues) et la maison centrale de Poissy (180 détenus).
La construction de la maison d’arrêt de Magnanville s’inscrit dans un schéma national de « création nette de 15 000 places de prison supplémentaires en France à l’horizon 2027 et permettra notamment d’offrir de meilleures conditions de travail au personnel pénitentiaire et de fermer certains établissements qui ne sont plus adaptés. Il vise à résorber la surpopulation dans les maisons d’arrêts et à poursuivre l’objectif de l’encellulement individuel à 80%1. »
Cet argument est faux ! Déjà en 1991, l’ouverture de la prison de Villepinte dans le 93 visait à limiter la surpopulation carcérale. 5 ans plus tard, elle était occupée à 116 % (et aujourd’hui 1 000 personnes pour 600 places). Depuis 30 ans, le nombre de détenus en France a presque doublé pour atteindre 70 000, avec un taux d’occupation en moyenne de 142% en maisons d’arrêt et quartiers de maisons d’arrêt2. L’État ne tient pas ses engagements, car le principe d’une cellule individuelle, s’il est préconisé depuis 1875 et a été consacré par la loi de novembre 2009, n’est toujours pas appliqué. Comme le disait régulièrement Adeline Hazan, ancienne contrôleuse générale des lieux de privation de liberté : « La construction de places nouvelles n’est pas une réponse à la surpopulation carcérale » car « plus on crée de places plus on les remplit ».
Cette concentration de détenus et l’abandon auquel l’État se livre sont les causes des conditions de (sur)vie indignes dans les prisons françaises, régulièrement ciblées par les associations de défense des droits humains. Récemment, la prison de Seysses a été mise sur le devant de la scène par Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Elle raconte : « trois hommes entassés dans une cellule de 4,28 m², des toilettes bouchées, une violence infernale. » L’un des détenus a même contracté la leptospirose, « c’est la maladie de la pisse de rat3 ». On est bien loin de l’image idyllique de conditions de détention luxueuses parfois véhiculées, avec télévision et salle de sport.
→ Refuser la construction de nouvelles prisons, c’est donc d’abord refuser qu’une partie de la population puisse être privée d’humanité par le traitement qui leur est imposé.
2) Cette construction s’inscrit dans un modèle de société étouffant et inadapté aux enjeux actuels
Cette construction devrait avoir lieu à deux pas du lycée Léopold Sédar Senghor. Quelle ironie quand on sait que cet homme, défenseur de la liberté, a lui même été mis en prison pendant la seconde guerre mondiale par les nazis…
Michel Lebouc, maire de Magnanville, a évoqué la création de 700 emplois directs en lien avec la construction. Nous aimerions avoir un décompte précis de cette estimation, car nous sommes dubitatifs sur cette potentialité ! Et d’ailleurs, quels sont les emplois associés à une prison, qui donneront un exemple de futur métier aux lycéens ? Surveillant de prison ? Membre des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ÉRIS), des compagnies ultra-violentes destinées à dresser par la force les détenus récalcitrants aux conditions indignes dans lesquelles ils sont placés ? Alors qu’on supprime 17 postes d’enseignants à la rentrée 2021 dans les Yvelines, qu’il manque 89 équivalents temps plein à l’hôpital de Meulan – Les Mureaux, que Renault supprime 2 000 postes dans l’ingénierie dont de nombreux sur le site de Guyancourt, on se vante des emplois associés à une prison ? N’y a-t-il pas un choix à faire, et à imposer par la population pour que les emplois créées correspondent réellement aux besoins de la population ?
Enfin, la prison, qui serait construite sur des champs, contribuerait à bétonner encore plus de terres agricoles, alors que la surface agricole en France a déjà régressé de presque 20 % depuis 1950 et que le nombre de paysans s’effondre… Bel exemple et sûrement beaucoup d’emplois pour les élèves du lycée agricole Sully, situé à… Magnanville.
→ Refuser la construction de nouvelles prisons, c’est aussi défendre un modèle de société où les choix sociaux correspondent aux besoins de la population et de la nécessaire défense de nos conditions naturelles de vie et d’alimentation.
3) La prison est un mode de gestion des populations précaires et marginalisées et pas l’exercice d’une justice impartiale
En prison, on ne trouve pas les personnes poursuivies pour avoir détourné des millions d’euros d’argent public, abusé de leur pouvoir de ministre ou d’élu, ou maquillé des comptes municipaux. Sarkozy n’y ira probablement pas, Balkany n’y est pas resté bien longtemps et Bédier n’a été condamné qu’à du sursis, et l’incarcération de Bernard Tapie ne l’a pas empêché de continuer les affaires. Par contre, on peut faire de la prison ferme pour des tags, pour avoir volé de la nourriture ou pour des délits mineurs. Et, souvent, on se retrouve en prison en attendant un procès (détention provisoire), même pour des faits mineurs. C’est le cas pour un tiers des personnes incarcérées. Si on ajoute les Centres de Rétention Administrative (CRA), qui enferment les sans-papiers (qui vivent et travaillent de façon invisible sur les postes les plus ingrats et mal payés de notre société, et pourront être renvoyés dans un pays en guerre ou en crise), on voit bien à quelle catégorie de la population s’adresse l’immense majorité des places en prisons : les pauvres, les exclus, les marginaux, dont les situations relèvent parfois bien plus de la santé.
La prison est donc davantage un moyen d’exclure et d’isoler ceux qui n’ont trouvé pour autre solution pour s’en sortir que la délinquance (vols, trafics, deal, contrefaçon…) qu’une punition réparatrice pour réintégrer pleinement les condamnés à la société. À côté des marchés illégaux de la contrefaçon et du cannabis, des marchés parfaitement légaux existent, et sont menés par les États eux-mêmes : les armes pour faire la guerre, les sous-marins. Personne n’ira en prison pour avoir vendu des engins de mort à des dictatures !
La prison, donc, en plus d’être le signe d’une justice à géométrie variable, est une marque d’impuissance de la société à ne pas corriger les défauts qui produisent l’exclusion : la pauvreté, le chômage, l’isolement. Et, à mesure que la précarité de la population progresse, on construit davantage de prisons, toujours aussi surpeuplées… Si les conditions de vie étaient différentes, combien ne se retrouveraient pas en prison ?
→ Refuser la construction de nouvelles prisons, c’est refuser de répondre à l’exclusion par l’exclusion et ainsi de masquer les véritables enjeux que sont les inégalités sociales grandissantes.
Ce que nous défendons
Ainsi, nous demandons l’arrêt du projet de maison d’arrêt à Magnanville, et l’arrêt de toutes les constructions de prisons en France. Nous nous sommes battus, avec les sans-papiers notamment lors de leur marche nationale en 2020 pour demander la fermeture des CRA (notamment celui de Plaisir), et nous continuons à le demander.
Nous pensons qu’il est urgent d’éradiquer les causes sociales du système qui produit la prison : il faut augmenter les salaires, revaloriser l’allocation chômage et les retraites, créer les postes nécessaires dans la santé et l’éducation.
Nous sommes favorable à une refonte complète du système judiciaire, qui ne saurait exister sans une refonte du système économique, car les deux sont intimement liés.
Une société qui a besoin de prisons est une société malade !
Refusons la logique de l’exclusion et de la régression sociale !
Nous appelons toutes les personnes qui refusent la construction de cette prison
à nous contacter pour réfléchir ensemble aux moyens d’actions contre ce projet,
et pour une société plus juste.
1 http://www.presse.justice.gouv.fr/communiques-de-presse-10095/construction-dun-centre-penitentiaire-a-magnanville-34112.html
2 Chiffre de 2017 : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/expliquez-nous/expliquez-nous-la-surpopulation-carcerale-en-france_2545599.html
3 https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/prison-de-seysses-comment-peut-laisser-vivre-les-gens-dans-un-trou-a-rat-1633417148