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Dans le privé et le public, un syndicalisme de lutte pour la transformation sociale

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Revue Les utopiques n°14, syndicalisme et féminisme

Poursuivant le rythme prévu, malgré les vicissitudes de la période, nous venons de publier le numéro 14 des Cahiers Les utopiques. Le dossier de ce numéro a pour titre « Syndicalisme et féminisme ». Il est en cours de diffusion auprès de chaque abonné·e. Pensez à renouveler votre abonnement…

L’édito de ce numéro

Le syndicalisme est féministe. Bien sûr. Comme il est antiraciste, anticolonialiste, écologiste… Mais cela ne doit pas occulter que, dans la réalité, ce n’est pas si simple. C’est l’objet de débats, de luttes, de progrès et de reculs ; mais aussi de principes fondamentaux, de pratiques novatrices à mettre en œuvre. A travers ce numéro, nous ne prétendons pas explorer tout le champ féministe du syndicalisme, tout le champ syndical du féminisme. En plus de 20 ans, les journées intersyndicales femmes y ont largement contribué ; un article y est consacré.

Les femmes ont toujours travaillé, les femmes ont toujours lutté, les femmes ont toujours activement participé aux mouvements sociaux, politiques et syndicaux ; et les femmes ont régulièrement disparu des histoires retraçant tous ces moments. Sous des angles différents, plusieurs contributions reviennent sur la dette du mouvement ouvrier vis-à-vis des femmes. L’actualité récente, avec la crise sanitaire et sociale liée au Covid-19 est aussi l’occasion de dénoncer, et expliquer, cette invisibilité, organisée et à combattre. Elle montre également la nécessité de penser le croisement des oppressions et les débats, souvent difficiles, que cela sous-tend.

Le récent mouvement sur les retraites n’a-t-il pas démontré la nécessité de genrer nos cahiers revendicatifs ? La mixité des listes électorales facilite-t-elle le fait que les femmes prennent leur place dans le syndicalisme ? A propos de mixité, comment accepter que les statistiques à propos des violences conjugales fassent disparaître les femmes de plus de 70 ans ? Autant de questions soulevées dans ce numéro.

L’auto-organisation est une priorité : aussi bien comme moyens d’action immédiat, qu’en tant qu’ouverture vers la société égalitaire que nous voulons. Celle des femmes s’impose ; les premières concernées doivent pouvoir prendre toute leur place. Nous y revenons ici.

Le syndicalisme comme le féminisme ne connaissent pas de frontières. Nous évoquons dans ce numéro les femmes zapatistes, une grève de femmes au Pays basque, le 8 mars en Belgique, un collectif de femmes à Rome. Deux articles nous rappellent que le droit à l’avortement, libre et gratuit, demeure un combat, ici et ailleurs. De même, pour l’action syndicale contre les violences sexuelles et sexistes.

Enfin, à travers le film Ni les femmes Ni la terre, nous abordons l’écoféminisme, tandis que Cantomos sin medio nous invite à réfléchir sur un syndicalisme qui doit être culturel.

21 femmes, dont 17 syndicalistes, ont contribué à ce numéro. Le féminisme n’est pas l’affaire que des femmes, loin de là. Notamment, il doit interpeller l’ensemble des syndicalistes. Mais qui peut mieux en parler que des femmes syndicalistes ?

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8 juin, journée internationale des luttes féministes, 1er rassemblement à Mantes

Dans la cadre de la mobilisation internationale du 8 juin, un rassemblement s’est tenu à Mantes, devant la gare.

Nous étions nombreux et nombreuses, à l’appel des Fffrac (Fortes, fières, féministes, radicales et en colère !) du Mantois pour dénoncer les violences faites au femmes, le patriarcat et toutes les oppressions !

Rendez-vous le 8 septembre prochain pour un nouvelle manifestation.

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Actu Solidaires 78 Éducation Luttes féministes Santé-Social

Avec Sud éducation 78, l’école se mobilise aussi le 16 juin avec les soignant·es

Dans l’éducation aussi, tous et toutes en grève

De l’éducation…

On peut faire un constat accablant sur notre métier de personnel de l’éducation, que ce soit avant, pendant, ou après la crise sanitaire : réduction du nombre de classes et de postes, conditions de travail sans cesse dégradées, taylo­ri­sa­tion des gestes professionnels, mépris de la hiérarchie et surdité de l’État devant des mobilisations d’ampleur. La continuité pédagogique, imposée dans une improvisation totale, puis la réouverture des établissements scolaires dans des conditions sanitaires scandaleuses ont constitué le paroxysme du mépris de l’institution envers les personnels et les élèves.
Les soignant·es, de leur côté, ont fait un constat plus que similaire. Remplacez « classes » par « lits », « continuité pédagogique » par « état d’urgence sanitaire », « établissements scolaires » par « hôpitaux » et « élèves » par « patient·es »… Sans parler de tous les autres travailleurs et travailleuses en première ligne…

… à la solidarité interprofessionnelle

Une chose est sûre : ce n’est pas en restant isolé·es que nous arriverons à nous faire entendre et à enfin gagner ce que nous revendiquons depuis des années. Les constats que nous faisons dans chaque secteur professionnel ne sont que la conséquence logique d’une gestion capitaliste où les intérêts financiers priment sur tout autre intérêt : pédagogique, de santé publique, de dignité des salarié·es, voire tout simplement humain et solidaire.
La mobilisation contre la réforme des retraites a remis en lumière la puissance et la joie des luttes interprofessionnelles, regroupant des individus de tous milieux, de toutes professions, unis par la même envie de construire une société plus juste et plus égalitaire, contre le règne et les méfaits du capitalisme et de l’individualisme.
Si le confinement a freiné ces élans, en tout cas sur le terrain, il ne nous a pas empêché·es de faire vivre la solidarité : on l’a vu avec les cortèges de fenêtres ou encore avec la lutte victorieuse de Solidaires contre Amazon, qui mettait sciemment ses salarié·es en danger en pleine pandémie…
Nous avons lutté ensemble, nous avons applaudi les personnels en première ligne pendant le confinement, nous avons pris conscience des conditions de travail impi­toyables des hospitalièr·es.
Le déconfinement sonnera-t-il la fin de cette solidarité ?
Assurément, NON !

Des applaudissements au rassemblement, il n’y a qu’un pas : rejoignons les personnels de l’hôpital le mardi 16 juin pour une journée de grève et pour montrer que, après ces deux mois confinés, nous sommes toujours là, toutes et tous solidaires, pour gagner, pour l’hôpital et pour tous·tes les travailleur·ses.

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8 juin : à Mantes la Jolie aussi Journée nationale féministe !

Lundi 8 juin 18h30  : Rassemblement

Gare de Mantes la Jolie

Dans le respect des mesures sanitaires
(groupe de 10, espacé.e.s les un.e.s des autres, masqué.e.s)
Code couleur : Violet et noir. Masque violet.
Pancartes à volonté !

Face à la crise écologique, sanitaire, économique et sociale, un
plan d’urgence féministe !

Nous ne nous laisserons pas dicter en silence les mesures de «
l’après », celles-là mêmes qui auront pour seul objectif de sauver à tout prix le modèle patriarcal et capitaliste.
Nous revendiquons un déconfinement militant et féministe.

Nous exigeons :
la reconnaissance et la revalorisation salariale des métiers essentiels, très souvent occupés par des femmes
la reconnaissance des conséquences du travail sur notre santé,
l’égalité salariale entre les femmes et les hommes
la fin des politiques de casse des services publics et du code du
travail.
un accès gratuit et rapide à tous les soins de santé
nous défendons le droit à l’IVG et exigeons un allongement du
délai d’avortement sous toutes ses formes.
des logements de toute urgence pour les personnes qui subissent des violences familiales, sociales et économiques
un budget et des mesures conséquentes contre les violences faites aux femmes et aux enfants
des politiques d’éducation au genre et à la sexualité, essentielles à la construction d’une société égalitaire

Le féminisme a un fort pouvoir d’action politique et un rôle important à jouer pour la société que nous voulons : nos luttes féministes sont essentielles et doivent s’inscrire dans les transformations écologiques, sociales,économiques d’une société débarrassée de tous rapports d’exploitation, de domination, d’oppression.

La grève féministe déjà utilisée lors des mobilisations du 8 mars doit devenir un moyen d’action puissant et reste encore à construire.

Partout, depuis quelques mois, se créent des réseaux spontanés de solidarité et d’entraide, qui sont autant de preuves que l’auto-organisation constitue un fer de lance essentiel de la société à laquelle nous aspirons.

Nos mouvements féministes s’unissent et appellent à une coordination nationale féministe.

Les FFFRAC* en sont, et en seront, tant qu’il le faudra!

*Féministes Fortes Fières radicales et en Colère!

courriel: fffrac@protonmail.com

https://www.facebook.com/FFFRAC-102127754676887/?modal=admin_todo_tour
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« Prendre la parole, bousculer les dominations »

Entretien avec Laélia Véron

Les Utopiques : Tu travailles sur la langue et un des champs de tes réflexions concerne la domination qui s’exerce au travers du langage. Peux-tu nous dire en quoi il est important de s’y intéresser ?

Maria Candea et Laélia Véron (à droite)

Laélia Véron : Quand on travaille sur le langage, on va parler de symbolisme, de domination symbolique, de ce que Bourdieu appelle aussi le pouvoir symbolique. Et la question qu’on peut toujours se poser c’est à quel point c’est important, à quel point on ne va pas perdre de vue les combats matériels en faisant ça.

Il peut y avoir la tentation de se dire que « les mots ça n’est pas important », qu’il faut agir plus que parler. Typiquement, quand on va parler d’écriture inclusive, on va nous dire, « battez-vous plutôt pour l’égalité salariale, contre les violences conjugales », etc. Bien sûr qu’il faut se battre là-dessus, mais ça n’est pas contradictoire de le faire tout en réfléchissant par exemple à l’écriture inclusive. Mais je pense qu’il faut travailler sur le langage tout en faisant attention à ce que ça ne devienne pas quelque chose de marketing. On a un gouvernement qui est tout à fait capable de tout féminiser et de continuer à précariser les travailleuses, les femmes, à fermer les centres d’accueil pour femmes battues, à fermer les plannings familiaux.

La question qui se pose pour nous, c’est de montrer comment le langage peut nous permettre de faire le lien entre le symbolique et le matériel, peut nous permettre de prendre conscience de certains éléments des combats, des luttes, dont on n’avait pas forcément pris conscience.

Typiquement, si on revient sur la Ligue du LOL : qu’est-ce que ça nous montre ? Ça nous montre des mécanismes de solidarité masculine qui vont exclure les femmes, souvent avec beaucoup de violence et en même temps de manière indirecte, en se cachant sous l’humour. Ce qui fait que c’est une domination encore plus pernicieuse. La ligue du LOL nous montre que ces questions de violences langagières ne sont pas détachées des aspects matériels et économiques. Beaucoup des femmes victimes de la ligue du LOL ont raconté qu’elles étaient d’autant plus démunies qu’elles étaient en situation de précarité. Les méfaits de la ligue du LOL sont notamment passés par de faux entretiens d’embauche : il s’agissait de jouer justement sur la précarité (et l’espoir d’obtenir un travail) des personnes victimes. Quand ces personnes avaient envie d’intégrer des rédactions, elles se retrouvaient exclues par des hommes qui voulaient les empêcher, à la fois de prendre parole sur des sujets qui leur tenaient à cœur et de prendre une place dans ces espaces journalistiques. On voit avec la ligue du LOL comment l’enjeu de la prise de parole s’articule avec un enjeu matériel. Parce que prendre parole, quand on est journaliste c’est tout simplement exercer son travail. Mais c’est aussi un enjeu de pouvoir.

Ça n’est pas un hasard si les personnes qui étaient visées par la ligue du LOL étaient souvent des personnes dominées dans l’espace politique et dans l’espace de la parole publique : les femmes, les homosexuel·les, les personnes racisé·es. On voulait les empêcher d’inclure ces espaces, on voulait les empêcher de prendre la parole.

On peut d’ailleurs remarquer que ces personnes de la ligue du LOL, dont on parle tout le temps comme des personnes très brillantes, n’étaient pas si brillantes en réalité. Souvent, elles se confrontaient à des féministes, par exemple, qui essayaient d’argumenter, et les membres de la ligue du LOL ne répondaient pas des arguments, mais des insultes. Ça nous montre l’impuissance de ces gens de la ligue du LOL à se battre sur le plan de l’argumentation politique : sous prétexte d’humour et de trait d’esprit, très rapidement on basculait dans l’insulte pure et dure avec des termes comme « la grosse », « la pute ». Je n’appelle pas vraiment ça des traits d’esprit, ni même de l’humour. Ce sont juste des insultes.

Dans ce que tu dis à propos de la Ligue du LOL, on comprend aussi que pour ces hommes, finalement, leur système de domination est « naturel ».

Oui, c’est le phénomène des Boy’s club : des groupes d’hommes, de solidarité masculine, qui cherchent à exclure les femmes, et en général les personnes dominées. On le retrouve partout, tout le temps. En tant que militante féministe et en tout simplement en tant que personne, j’ai été très choquée de cette violence. Et ça m’a fait repenser à certaines choses que j’avais vécues, que j’avais vues et que je n’avais pas interprété forcément comme des Ligues du LOL, comme des Boy’s club, alors que c’est exactement la même chose !

Par exemple, dans les grandes écoles, il y avait, même si ça restait « privé », des listes mail entre garçons qui voulaient absolument discuter entre hommes, et qui visaient toujours les mêmes cibles. Dans certains milieux il est impressionnant de voir à quel point certains hommes regrettent le temps de la non-mixité. Nous, les filles, nous sommes tout le temps confrontées à ça, par exemple à l’idée que le métier se dévaloriserait quand les femmes l’intègrent. Par exemple, pour l’enseignement, on se souvient des propos d’Antoine Compagnon1… On voit bien que certains milieux de pouvoir – la politique, la justice, les grandes écoles – sont encore dirigés par des hommes qui regrettent le temps de la non-mixité, qui ne supportent pas que les filles arrivent.

Les réponses des agresseurs ont été intéressantes. Toute leur stratégie a été de s’excuser. Plusieurs membres de la Ligue du LOL ont été licenciés, pas tous. Par contre, ce qu’on ne sait pas, et c’est un angle mort, c’est qui les a remplacés ? On parle de lier symbolique et matériel, alors il y a un enjeu : si on arrive à dévoiler les solidarités masculines, à montrer que ces hommes s’organisent et agissent de concert, qu’ils défendent leurs privilèges de dominants… alors on peut passer à la question des réparations concrètes et matérielles.

Tout à fait. Typiquement on a fait des gorges chaudes sur le fait qu’ils soient pour certains licenciés, mais on ne sait pas qui les a remplacés. Si c’est pour reproduire la même chose, ce n’est pas très intéressant. Il y a des femmes d’ailleurs qui leur ont dit « rendez l’argent » !

Autre chose : il y a eu des enquêtes aux Inrockuptibles qui ont montré que ce phénomène de Ligue du LOL, de pseudo-esprit potache, allait de pair avec une politique managériale extrêmement violente, avec une intrusion permanente dans le travail, voir dans la vie privée des gens qui travaillaient là-bas. Ce qui donnait ça faisait une atmosphère qu’on pourrait qualifier de « terreur managériale ». Encore une fois, le passage de la violence symbolique à la violence au travail, qui peut être bien plus concrète, est rapidement franchi. Ça s’articule complètement. C’est une manière d’instaurer une violence au travail, vis-à-vis des subordonné·es.

Si on glisse sur le sujet, c’est transposable. On est parti des questions de genre notamment, mais si on bascule sur les questions de classe, on a le même phénomène de disqualification autour du mouvement des Gilets jaunes. Avec des affirmations dans les médias du type « C’est comme ça qu’il faut parler », « c’est comme ça qu’il faut agir », « vous ne pouvez pas bloquer des rond-points », « vous n’êtes pas légitimes » …

Oui, dans une émission sur Arrêt sur images2, on avait d’ailleurs lié les deux sujets. Ce qui me semble être le point commun, c’est que dans les deux cas il y a des personnes qui maîtrisent les lieux de paroles, les canaux de diffusion, et qui ne veulent absolument pas les laisser à d’autres.

La Ligue du LOL, c’est des journalistes, des hommes blancs, dominants, qui ne veulent pas laisser la parole à d’autres. Et les Gilets jaunes, c’est l’affolement d’une classe politique et d’une certaine partie de la classe médiatique, notamment les éditorialistes, qui sont habitués à avoir la parole, à l’exprimer, à parler d’une certaine manière et à avoir un certain discours et qui ne supportent pas que d’autres prennent la parole pour dire autre chose et d’une autre manière.

Il y a comme une double injonction contradictoire vis-à-vis des Gilets Jaunes. On a d’abord le cliché sur la manière dont le Gilet jaune doit parler : c’est forcément un « abruti », « beauf », qui ne sait pas parler, qui n’a aucun discours politique. Ce cliché met les Gilets jaunes dans une situation dont ils ne peuvent pas sortir, parce que soit ils parlent effectivement comme ça, ils se rapprochent de ce cliché caricatural, et du coup on disqualifie leurs discours politique (« ils parlent mal », « c’est la théorie du complot », etc. alors que la théorie du complot on l’a aussi au gouvernement, au passage), soit ils ne se rapprochent pas de ce cliché, s’ils ont un discours politique construit, on leur dit « vous n’êtes pas un vrai Gilet jaune ». C’est ce qu’avait dit Bruno Jeudy sur BFM-TV, « vous n’êtes pas un vrai Gilet jaune, vous êtes un militant ». Et pourquoi d’abord on ne pourrait pas être Gilet jaune et militant ? Qu’est-ce que c’est que cette différence-là ?

En fait Jeudy avait en face de lui un discours construit, politique, qui détruisait ses affirmations. Et c’est pareil quand Nicolas Mathieu avait parlé au nom des Gilets jaunes, en disant « moi ces gens-là, je les connais, ce sont les miens. Je connais leurs conditions de travail, vous ne les connaissez pas », on lui avait rétorqué « vous êtes un très bon comédien », encore une fois « vous jouez le rôle de », vous n’êtes pas un « vrai ».

Même chose avec Macron et Dettinger. Quand Dettinger fait sa vidéo, la réaction de Macron (« c’est pas les mots d’un boxeur gitan »), est hallucinante de mépris de classe et de racisme. J’aimerais bien qu’on m’explique comment un boxeur gitan doit parler d’ailleurs ! Parce que je ne sais pas à quoi ça correspond concrètement. Encore une fois, Dettinger avait un langage qui ne correspondait pas aux clichés dominants sur la manière dont les dominé-es parlent, et sa faculté de langage lui était niée : il était forcément conseillé, disait Macron, par des « avocats d’extrême gauche » ou par la Russie (et on retrouve là le fantasme complotiste). Encore une fois, pour les Gilets Jaunes, soit on disqualifie leur parole, soit on leur enlève leur parole.

Dans ces stratégies de disqualification, il y avait aussi les fautes de langage, et notamment les fautes d’orthographe. D’abord, ne nous mentons pas, tout le monde fait des fautes d’orthographe, même si ce n’est pas à la même fréquence. Si on fait faire certaines dictées, n’importe qui, sauf peut-être Bernard Pivot, tout le monde va faire des fautes. Quand on a une orthographe française avec par exemple trente pages d’exceptions sur l’accord du participe passé, ce n’est pas possible de ne pas faire de fautes. Ensuite, ce qu’on a pointé comme des fautes de la part des Gilets Jaunes, ce ne sont pas toujours des fautes ! Ce sont des manières de parler vues comme telles par un petit milieu, une caste parisienne qui est habituée à parler d’une certaine manière, avec un certain accent, et qui ne se rend pas compte que le français est riche, que le français est varié. Et ils ont l’habitude de faire de leur parler LA norme. Sans se rendre compte que tout le monde ne parle pas comme ça. Un des exemples de ce cas de figure c’est un monsieur Gilet jaune qui, dans une émission de télévision, avait dit « j’ai parti » au lieu de « je suis parti ». Et il y a eu des réactions extrêmement violentes sur twitter avec ce type de commentaires : « vu comme il parle, il devrait déjà être content d’avoir le SMIC » et des blagues à n’en plus finir, alors que la variation sur les auxiliaires être ou avoir sur certains verbes est extrêmement commune dans certaines régions, elle est extrêmement commune dans l’espace francophone, notamment au Québec. Ce qui est drôle, c’est que pendant longtemps, pour beaucoup de grammaires, ça a été considéré comme une richesse justement de faire cette variation, de ne pas juste dire « je suis parti ». Ça permettait de montrer une variation dans ce qu’on appelle l’aspect, c’est à dire dans la manière de saisir le processus exprimé par le verbe : est-ce qu’il est bref, est-ce qu’il est court. On le voit dans certaines chansons. Par exemple « J’ai descendu dans mon jardin », c’est bien « j’ai descendu », ce n’est pas « je suis descendu », ça veut dire que c’est une action brève. C’est bien du français, ça fait partie de la manière dont la langue française fonctionne. Simplement c’est ce qu’on appelle les variations. Et cette variation être/avoir est plus présente dans certaines régions que d’autres. Elle n’est pas très présente dans le petit milieu de l’Île-de-France et donc du coup ça y devient une « faute ». C’est contestable et ça montre à quel point c’est un prétexte pour disqualifier la parole. Parce qu’en réalité, quand ce Gilet Jaune dit « j’ai parti là-bas », on comprend très bien ce qu’il dit. Les erreurs orthographiques ou de conjugaison posent un problème quand elles ne permettent pas de comprendre le fond, quand elles créent des confusions. Mais là elles n’affectent pas le sens.

Autre exemple, il y avait une petite fille en Gilet jaune qui avait en manifestation une phrase au dos de son gilet : « je suis en CM2, l’année prochaine je serais en sixième république », avec donc un « s » à la fin de « serais ». Il y aurait donc une faute d’orthographe, puisqu’au futur c’est « serai ». Même si là encore on pourrait en discuter parce que le conditionnel est acceptable dans ce contexte, ça peut aussi être un futur hypothétique, sachant qu’on est dans l’imagination… je ne crois pas qu’elle pense qu’elle va être en sixième république l’an prochain. Mais au-delà de ça, il y a une petite fille qui a un message politique et il y a une élue parisienne qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de twitter « Elle est en CM2 et ne sait pas conjuguer le verbe « être » au futur, il y a de grandes chances que l’année prochaine elle soit encore au CM2… ». Au-delà du débat « est-ce que c’est une faute, est-ce que ce n’est pas une faute », on voit comme l’orthographe devient un prétexte pour se moquer, et avec violence envers une enfant, esquiver de répondre sur le fond. Il s’agit là encore de disqualifier le droit à la parole.

Lorsqu’on parle de niveau de langue et d’expression, dès qu’il s’agit des Gilets jaunes on va leur tomber dessus. Alors qu’il y a des personnes « haut placées » qui ne parlent vraiment pas mieux ! Quand Macron dit « Il y en a qui déconnent », pourquoi on ne lui tombe pas dessus en lui disant qu’il n’a pas droit à la parole politique ? Quand Berléand passe à la télévision et ne fait qu’insulter les Gilets jaunes, en étant complètement contradictoire qui plus est, puisqu’il disait qu’au départ il les soutenait, puis qu’ils « le font chier depuis le début », ce monsieur dit des gros mots pendant cinq minutes pleines et dans les médias ça devient un « coup de gueule ». Alors que si c’était un Gilet jaune qui avait été injurieux pendant cinq minutes à la télévision, on l’aurait traité de « beauf imbécile », en disant que « vraiment on ne peut pas donner la parole à ces gens-là ».

Il y a vraiment un deux poids-deux mesures.

Cette disqualification de la légitimité à parler est en réalité au service d’une domination extrêmement violente. Il y a ce que Macron peut dire, et il y a ce que son pouvoir fait.

Oui. Quand on voit ce qu’il a osé dire à propos de Geneviève Legeay3 ! Dire d’une femme de plus de 70 ans qui a été victime de violences policières, qui est grièvement blessée parce qu’elle revendiquait le droit de manifester, « qu’il faut qu’elle retrouve la sagesse » … mais quel paternalisme, quelle arrogance !

Macron le dit clairement : pour lui, tout le monde n’a pas le même droit à la parole. Il l’a dit en invoquant le fait que les Gilets jaunes n’aient pas été élus. Mais il y a plein de gens qui n’ont pas été élus et qui ont largement le droit à la parole. Jean-Michel Apathie n’a jamais été élu par qui que ce soit à ce que je sache. Yves Calvi, qui dit qu’il faut mettre les gens dans des stades, non plus. C’est d’une violence ! Et là aussi il y a un deux poids-deux mesures entre la violence des dominé·es et celle des dominants.

Quand Gabriel Attal dit que Jean-Luc Mélenchon souhaite de toute façon qu’il se passe « quelque chose de grave » dans le mouvement des Gilets jaunes… parce qu’il ne s’est rien passé de grave ?

Une femme a été tuée, plusieurs personnes sont grièvement blessées, certaines ont des membres arrachés, d’autres sont éborgnées. Par exemple, Jérôme Rodrigues, blessé à l’œil, était sur un plateau de télévision. Et qu’est ce qu’on lui dit : « vous avez dit qu’il fallait marcher sur l’Elysée ! Vous rendez-vous compte comme c’est violent ! ». Ce sont des propos totalement indécents. On aussi eu des heures et des heures de glose sur la destruction de la devanture du Fouquet’s, alors qu’on relativise les blessures des Gilets jaunes.

La violence des dominé·es sera toujours dénoncée à haut cris, tandis que celle des dominants, dans les mots et dans les faits, est systématiquement relativisée.

Tout ce qu’on vient de se dire, sur la Ligue du LOL, sur les Gilets jaunes, nous incite, nous, partisan-es de l’émancipation, à réfléchir aux stratégies à mettre en œuvre pour déjouer ces mécanismes de domination. Tu viens d’écrire un livre avec Maria Candea, Le Français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, aux éditions La Découverte, comment peut-il nous être utile ?

Il y a plusieurs points, d’abord le rapport aux institutions et aux experts auto-proclamés. Par exemple, même si le livre n’est pas centré là-dessus, on nous a beaucoup sollicitées sur la féminisation et l’écriture inclusive, pour nous demander de nous positionner par rapport à l’Académie française. Et nous les linguistes, ça nous énerve qu’on nous parle tout le temps de l’Académie française, parce que ce sont des incompétents. Il n’y a aucun linguiste parmi eux. Ce sont des gens absentéistes, qui ne font rien et qui nous coûtent cher. Il y a Valéry Giscard d’Estaing, des théologiens, des biologistes… Ce sont des gens qui n’ont aucune compétence sur la langue mais qu’a priori on considère comme « experts ». Mais qu’on leur fasse confiance, c’est assez révélateur de notre rapport aux institutions et aux pseudo-experts. Moi aussi j’ai cru que ces gens avaient une légitimité. Alors que quand on réfléchit, on voit que c’est une institution monarchique, aux finances très opaques en plus. C’est une véritable arnaque. Il ne faut pas les accepter juste parce qu’ils sont là ! Et non, le français n’est pas eux, la norme n’est pas eux, le français est à nous justement ! Les questions de langue nous regardent. Pour être meilleur que l’Académie française en langue, il suffit d’avoir un peu de curiosité, ce n’est pas très compliqué. Et c’est la même chose dans pleins de domaines : comme pour les pseudo-experts économiques, comme pour les éditorialistes, qui se trompent en permanence dans leurs prédictions et qui ont pourtant pignon sur rue et représentent une pseudo « parole légitime ». Se rendre compte que ces personnes sont contestables, comme le sont bon nombre de nos institutions, c’est un pas sur le chemin d’une émancipation qui peut être générale.

D’autre part dans le livre, ce qu’on essaye de montrer, et ce à quoi je crois, c’est que la langue, on la manie tous les jours, c’est notre manière de saisir le monde, de dire le monde. De le changer aussi. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a que la langue. Tout ne passe pas par la langue bien sûr, mais ça passe aussi par la langue. Il faut s’interroger sur ce qu’on va mettre derrière les mots. Typiquement le mot « réussite » : est-ce que ça va être incarné pour nous par un jeune type en rolex ou est-ce que ça va être autre chose, un monde social plus égalitaire par exemple ? Les définitions qu’on met derrière les mots sont importantes. Pour forger nos imaginaires, pour forger nos horizons de lutte. C’est intéressant pour forger le monde qu’on voudrait construire comme pour comprendre le monde tel qu’il est. Un exemple type en politique c’est le choix qui est fait quand on parle de « cotisations sociales » ou de « charges sociales ». Est-ce qu’on présente ça comme un mouvement de solidarité collectif, nécessaire, positif, donc des « cotisations ». Ou est-ce qu’on présente ça comme un boulet dont il faut se débarrasser, ce qui est connoté par le mot « charge ».

Ce qui est intéressant, c’est que les grandes luttes ont toujours eu ce double aspect, matériel et symbolique, par le langage. Si on prend la révolution française de 1789 : le mot qui symbolise la révolution c’est quand même « sans-culotte ». Mais au départ c’est une appellation moqueuse, injurieuse, pour rire de celui qui n’est pas aristocrate, qui n’en a pas l’habit. Et typiquement il y a un moment de retournement du stigmate. Comme dit la chanson : « c’était sujet de honte, j’en ferai ma fierté ». On se revendique « sans-culotte » parce que c’est devenu l’image même de la révolution française. Les révolutionnaires ont beaucoup réfléchi sur les mots, alors qu’on aurait pu penser qu’ils avaient autre chose à faire ! Dans ce travail sur les mots, il y avait le fait de se renommer, de dire « citoyen », « citoyenne ». De ne plus dire « Monsieur » qui dérive de « Mon Sieur », « Monseigneur », mais d’avoir une appellation d’égalité. C’était très important d’un point de vue symbolique au moment du procès du roi de ne plus l’appeler le roi mais le « citoyen Louis Capet ». Plus généralement c’est une manière de se poser en tant que sujet dans le monde par le langage. Réfléchir à comment on se définit, c’est extrêmement important. Nous sommes dans un monde de plus en plus menacé par le langage managérial, il ne faut pas céder là-dessus. Très récemment, quand Castaner parlait des Chefs d’établissement des collèges et lycées comme de « patrons », ce n’est pas un hasard. Ça va avec la logique de libéralisation de l’Éducation nationale, avec la logique de vouloir instaurer un imaginaire de l’entreprise et du profit partout. C’est une manière de distiller cette idéologie-là et de chercher à l’imposer comme seule manière de voir le monde. Il faut absolument qu’on lutte contre ça, notamment en refusant ce choix des mots et en en revendiquant d’autres. Prendre la parole pour bousculer les dominations en somme.


1 Dans une interview au Figaro en 2014, Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et écrivain, estimait entre autres que le déclassement du métier d’enseignant s’expliquait par sa « féminisation massive ».

2 Laélia Véron tient désormais une chronique, « Avec style », dans l’émission en ligne Arrêt sur images : arretsurimages.net/chroniques/avec-style

3 Geneviève Legeay, militante d’Attac, a été gravement blessée lors d’une charge policière à Nice le samedi 23 mars dernier.

Théo Roumier

Théo RoumierMilitant de SUD Éducation et co-animateur de l’Union interprofessionnelle Solidaires Loiret

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