Comment en est-on arrivés à une telle crise de l’énergie, dont les répercussions sociales, écologiques et économiques sont immenses ? Pourquoi des coupures ? Quelles sont les réponses du gouvernement ? Et quelles sont les pistes et propositions que porte l’Union syndicale Solidaires?
En essayant de répondre à ces questions, nous voulons armer le maximum de travailleuses et travailleurs pour comprendre la situation et avoir les moyens d’agir dessus. Non, l’envolée des factures n’est pas inéluctable. Non, baisse de la consommation ne rime pas nécessairement avec privation des usages essentiels. Oui, les privatisations et la fuite en avant capitaliste sont responsables de la situation.
Alors, comment on s’en sort ?
L’impasse actuelle dans la production d’électricité
Nous sommes aujourd’hui confrontés à trois crises énergétiques :
1) Une crise profonde, de long terme : nos modes de production et de consommation ont conduit à l’épuisement des ressources, de la biodiversité, à des pollutions diverses et à un réchauffement climatique qui menace la survie de l’humanité et nous impose de les revoir en profondeur. Il est nécessaire et urgent de réduire fortement nos consommations et leur impact sur l’environnement. Dans le domaine énergétique, il s’agit d’une véritable révolution qui doit conduire, pour limiter les impacts, à diviser par 2 nos consommations d’ici 2050 et à décarboner entièrement notre production, donc se passer de 75% des modes de production actuels.
2) Une crise à court terme sur l’approvisionnement en gaz et en électricité du pays, avec des risques inédits de coupure provoqués par plusieurs facteurs combinés : guerre en Ukraine privant l’Europe d’une partie de son approvisionnement en gaz, disponibilité historiquement basse du parc nucléaire (cf. encart), retard sur la mise en service de l’EPR de Flamanville et dans le développement des renouvelables, retard dans la politique de réduction de consommation (et notamment l’isolation des logements).
3) La flambée des prix du gaz et de l’électricité, dont la cause principale est la privatisation et la mise en concurrence de ces secteurs, imposée par l’Union européenne en 1996. Cela s’est traduit, pour le gaz, par un remplacement progressif de contrats long terme par un marché spot (de court terme), l’exposant plus fortement aux fluctuations de prix. Pour l’électricité la conséquence est la mise en place d’un marché dont le prix, ne reflétant plus les coûts de production, est indexé sur les cours du gaz et se répercute sur les factures. Ainsi, l’envolée des prix du gaz provoquée par une reprise mondiale post-covid puis par la guerre en Ukraine, a fait s’envoler non seulement les prix du gaz mais également de l’électricité partout en Europe, alimentant la précarité énergétique et l’inflation, provoquant faillites, baisses d’activité et délocalisation pour les entreprises. Dans le même temps de nombreuses collectivités rognent sur des services publics, en particulier sur le chauffage, et reportent des investissements essentiels.
Comment est déterminé le prix de l’électricité ?
Le prix de marché de l’électricité est déterminé au niveau européen par le coût de production d’une unité supplémentaire d’électricité (coût marginal), correspondant au coût de fonctionnement de la centrale la plus chère, généralement une centrale à gaz, et très éloigné du coût de production de l’électricité. Ce prix de marché se répercute, plus ou moins directement, sur les factures des consommateurs et consommatrices.
Pourquoi autant de centrales nucléaires à l’arrêt ?
Les difficultés actuelles du parc du nucléaire sont liées à un défaut générique de conception (corrosion sous contrainte) imposant des contrôles et maintenances de nombreuses centrales (surtout les plus récentes) et s’ajoutant à des indisponibilités liées au vieillissement du parc et aux décalages de maintenance suite au covid, mais aussi à un manque d’ingénieur-es et de technicien-nes formé-es pour les entretenir.
Les réponses du gouvernement :
Malgré l’urgence et la gravité de la crise, le gouvernement et les décideurs économiques continuent à vouloir préserver le système en comptant sur une « chasse au gaspi », culpabilisant la population mais préservant les surconsommations des plus riches. Pourtant, les plus riches sont ceux qui par leur patrimoine, leurs ressources et leurs pratiques utilisent le plus d’énergie (voir étude greenpeace et oxfam). Inversement, actuellement en France plus de 12 millions de personnes sont déjà concernées par la précarité énergétique.
Comme le relève une étude du cabinet Carbone 4, si tous les citoyens avaient un comportement « héroïque », « en réalisant tous les « petits gestes du quotidien » (acheter une gourde, équiper son logement de lampes LED…) et en adoptants des comportement plus ambitieux (manger végétarien, ne plus prendre l’avion, faire systématiquement du covoiturage…), cela ne permettrait de réaliser que 25% de la baisse d’empreinte carbone nécessaire à l’atteinte de l’objectif de 2°C de l’Accord de Paris.
Or le gouvernement persiste à refuser de remettre en cause un modèle basé sur la croissance infinie, l’augmentation de la consommation et de la production (d’ailleurs, la réforme des retraites vise à “travailler plus pour produire plus”), à planifier et à investir dans la transition écologique, à organiser l’accès à des ressources de plus en plus rares.
Il continue à à multiplier les rustines pour tenter de limiter les envolées de prix dues à un marché aberrant, à privatiser le bien public qu’est l’énergie, à préserver une concurrence absurde dans un secteur qui relève du service public, au nom de la soumission aux dogmes européens pourtant largement responsables de cette crise.
Le bouclier tarifaire : coût et fonctionnement
Devant la flambée des factures, l’État multiplie les mécanismes pour limiter les dégâts, dont un bouclier tarifaire pour les plus petits consommateurs (incluant tous les ménages) plafonnant les hausses à 4 % en 2022 et 15 % en 2023 ainsi que des mesures ciblées pour tous les types de consommateurs. Malgré ces mesures coûteuses pour l’État – de 25 à 30 milliards en 2023 –, de nombreuses entreprises et collectivités, non couvertes par le bouclier, ont vu leur facture multipliée par 3, 4, voire 10, sans rapport avec l’évolution des coûts de l’électricité – qui n’ont, eux, augmenté que de 4 % en 2021 et de l’ordre de 30 à 40% en 2022.
Pourquoi et comment les coupures ?
Une autre réponse du gouvernement avec la culpabilisation repose aujourd’hui sur une gestion de crise de la pénurie qui va passer par une “répartition des coupures d’électricité”. Les coupures d’électricité ne sont pas une chose nouvelle, nous en connaissons toutes et tous. Mais c’est la première fois depuis des décennies qu’elles ont lieu à cause d’un manque de production. L’effet est mécanique : on ne peut pas consommer ce qu’on ne produit pas. Nous le savons, il faut baisser la production et la consommation d’énergie. Mais ce ne doit pas être de cette façon : il faut un débat démocratique sur l’utilisation énergétique et des mesures fortes pour supprimer le gaspillage énergétique, ce qui est inutile et/ou nuisible à la société. L’inverse de ce gouvernement qui va laisser cet hiver fonctionner les publicités électriques pendant que des écoles seront fermées par manque d’électricité…
Nos propositions
Nos pistes sur l’organisation du secteur public de l’énergie
L’énergie est un bien essentiel, complexe à gérer et au cœur de la transition écologique. Elle ne peut être livrée au marché capitaliste qui a montré son inefficacité sur les plans économique, technique, écologique et démocratique.
Pourtant, la seule façon de sortir durablement de cette crise consiste à rétablir un opérateur public exploitant le parc français dans l’intérêt de tou-te-s, et continuant à échanger avec les pays voisins via les interconnexions : il faut sortir de la concurrence tout en restant connecté au réseau européen. L’exploitant public n’aurait pas de rôle sur le choix des filières où se font les investissements.
Une telle solution pourrait être appliquée rapidement en France sans remettre en cause le choix des autres pays ni l’organisation du marché européen. Mais cela impose une dérogation claire aux textes européens qui, en matière d’énergie, ont prouvé leur absurdité et ont déjà fait l’objet de multiples contournements : les négociations entre États membres et Commission européenne sur la meilleure rustine à poser sur un système bancal à la base n’ont que trop duré. Il en est de même pour le gaz.
Ce retour d’un système public sorti de la concurrence et s’appuyant sur un tarif réglementé pour tous est le moyen de garantir l’accès à ce bien essentiel dans des conditions équitables, à un prix stable et abordable (incluant pourquoi pas la gratuité des premiers kWh), tout en donnant la stabilité et les garanties nécessaires aux investissements lourds dans les réseaux et le parc de production.
La réponse à cette crise majeure est avant tout collective. Elle passe par l’investissement public, la planification et le retour à un secteur public de l’électricité et du gaz : l’énergie n’est pas une marchandise, c’est un bien essentiel !
Nos mesures d’urgences :
L’Union syndicale Solidaires a des propositions d’urgence pour faire face à l’impact de la crise énergétique. Cela passe par des mesures rapides qui doivent mettre l’ensemble de la population à l’abri : hausse immédiates des salaires de 400 euros mensuels SMIC à 1700 euros net Pas de minimas sociaux ou retraite en dessous de 1700 euros par mois Retour à un tarif régulé de l’énergie pour tous les consommateurs(particuliers, entreprises, communes) Gratuité des transports en commun Renforcement des services publics Taxation des superprofits qui se font sur la flambée de l’énergie
Les scénarios de long terme :
Il existe aujourd’hui de nombreux scénarios, militants et institutionnels, qui décrivent des « futurs énergétiques » possibles, avec des trajectoires d’évolution de la production et de la consommation jusqu’à 2050. Le Réseau de Transport d’Electricité (RTE) notamment a publié en octobre dernier 6 scénarios de production conduisant à la sortie des énergies fossiles et conservant ou non une part de nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables. Ces scénarios sont déclinés suivant plusieurs hypothèses de consommation (avec pour référence une baisse de 40% de la consommation). Ces scénarios, tous techniquement possibles sous des hypothèses réalistes, présentent des écarts de coûts assez faibles et des contraintes de différentes natures (risque nucléaire et déchets, occupation des sols et accès aux ressources, etc.). Ils pourraient et devraient servir de base à un vaste débat démocratique, afin que l’énergie devienne enfin l’affaire de tou-te-s.
Un exemple sectoriel
Réduire la consommation d’énergie dans les transports et sortir de la dépendance au pétrole : un enjeu majeur d’intérêt général
Les transports représentent 30 % de la consommation d’énergie en France. Ils dépendent du pétrole pour 91 %. La route, mode dominant (+ de 85 % du trafic), est en développement intense (hors épisode Covid) au détriment du ferroviaire (autour de 10 % du trafic), pourtant bien plus vertueux en termes d’efficacité énergétique et d’émissions de gaz à effet de serre (GES).
Jusqu’à présent, rien n’a été fait pour changer durablement nos modes de transport. Il y a pourtant urgence ! On estime qu’en France a minima 13.3 millions de personnes sont en “précarité mobilité”, que ce soit à cause des coûts de transports, des prix de l’énergie ou de l’impossibilité d’alternative à la voiture.
Les solutions, développées par les ONG et la Convention Citoyenne pour le Climat, sont connues. Elles visent à développer les transports en commun et les modes doux (vélo, marche), à diminuer les distances parcourues, à réduire les tonnages transportés tout en organisant un report important du transport routier vers les ferroviaire et le fluvial. L’objectif est ainsi de diviser par 3 la consommation des transports à l’horizon 2050 et de bannir le pétrole.
Pour y parvenir, une planification d’actions de fond sur la fiscalité, l’urbanisme, la réorientation des investissements vers le chemin de fer et les modes doux, la relocalisation de l’industrie et son adaptation aux nouveaux besoins, sont indispensables.
Solidaires revendique la création d’un grand service public des transports écologiques devant coordonner les mesures citées ci-dessus sous le contrôle démocratique des citoyens et des travailleur·euses.
A court terme, une progression rapide de l’usage des transports en commun et du ferroviaire est nécessaire. Cela passe par des embauches massives associées à une forte augmentation des programmes d’investissements sur le matériel et l’infrastructure. Cela passe également par l’arrêt de la privatisation du secteur, le développement des entreprises publiques et la réunification de la SNCF pour préserver l’avenir.
Décider démocratiquement de la production et de la consommation
Avec la raréfaction des ressources, le besoin de sortir le plus vite possible des énergies fossiles et la crise écologique, le besoin d’un arbitrage concerté et réfléchi entre les différents usages va devenir absolument indispensable pour garantir l’accès de toutes et tous aux biens essentiels. Nos modes de consommation et de production vont devoir se transformer en profondeur, rendant plus que jamais nécessaire une planification et des investissements lourds et de long terme. Ce ne sont pas les intérêts privés, les entreprises ou les capitalistes qui doivent décider à notre place.
Agir au travail
L’Union syndicale Solidaires produit une brochure “agir syndicalement pour la transition écologique et sociale” qui sera disponible début 2023 sur solidaires.org et dans l’ensemble des Solidaires départementaux. Au programme : analyse de la crise écologique, actions sectorielles et territoriales, aide à la construction de revendications et d’actions concrètes. Travailleuses et travailleurs nous avons un rôle central pour agir sur nos lieux de travail (bâtiment, consommation d’énergie, modes de production, alimentation, transports d’entreprise…)
L’alliance écologique et sociale PJC
Solidaires a participé à construire l’alliance écologique et sociale qui regroupe des syndicats de salarié-es, de paysan-nes et des associations écologistes et de lutte contre les inégalités. Ensemble nous avons développé un plan de sortie de crise. Notre alliance soutient les luttes et montre au quotidien qu’urgences écologiques et urgences sociales riment ensemble. https://alliance-ecologique-sociale.org/
Nos armes : action collective et solidarité
Face à la rareté des ressources, deux options sont possibles : soit une sobriété imposée aux plus pauvres, par les prix, et le pillage des ressources par quelques-uns ; soit une organisation et un partage de ces ressources, en sécurisant les biens et services essentiels (alimentation, énergie, eau, logement, santé, éducation, culture, etc.). Le gouvernement choisit la première option, nous imposerons la seconde !
Dans de nombreux secteurs, des leviers efficaces d’économies sont déjà à notre portée. Citons par exemple l’isolation des logements et des bâtiments de travail, la diminution du poids des voitures, le développement des transports collectifs et du fret ferroviaire, le développement de l’alimentation végétale, bio et locale, notamment dans la restauration collective, la réparation massive et le recyclage effectif.
Les milliards dépensés dans le bouclier tarifaire en faveur des industries énergétiques montre l’absence de stratégie de long terme de l’État. Depuis des années le mouvement social écologiste, dont Solidaires, demande des investissements d’ampleur dans les énergies renouvelables et l’isolation massive, pour décarboner, réduire au maximum les énergies fossiles et baisser au maximum notre consommation d’énergie.
Le capitalisme nous a fait miroiter qu’il n’y avait pas de limites, y compris énergétiques. Ce mensonge criminel doit nous amener aujourd’hui à repenser en profondeur notre rapport à l’utilisation d’énergie, en commençant par mener un débat démocratique pour réduire massivement nos consommations générales et mieux répartir l’ensemble produit.
Nous nous y attelons dans l’Union syndicale Solidaires et dans nos syndicats. Notre action collective et nos solidarités dans les mois et années à venir seront déterminantes : pour ne laisser personne souffrir de cette crise énergétique, des factures à venir ou des fermetures d’entreprises, mais engager une mutation profonde et rapide de la production et de la consommation.
Passons à l’action !
Pour aller plus loin :
Site SUD-Energie : www.sudenergie.org/site/hercule (notamment les tribunes en début de page)
Scénarios RTE – Futurs énergétiques 2050 et passage de l’hiver (ici : https://www.rte-france.com/actualites/previsions-systeme-electrique-hiver-2022-2023)
Carbone 4 « Faire sa part » https://www.carbone4.com/files/73_publication_faire_sa_part.pdf
Milliardaires et consommations d’énergie : https://www.greenpeace.fr/milliardaires-et-climat-4-chiffres-qui-donnent-le-vertige/
Précarité énergétique et précarité mobilité : https://www.vie-publique.fr/en-bref/286623-precarite-energetique-hausse-des-menages-en-difficulte-en-2021