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Dans le privé et le public, un syndicalisme de lutte pour la transformation sociale

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(re)Penser notre syndicalisme antifascisme

Syndicalistes – Nos tâches immédiates face à l’extrême droite

Dans le cadre de notre rubrique “(re)penser le syndicalisme” nous proposons cette contribution qui n’émane pas de Solidaires mais qui peut contribuer à alimenter le débat syndical.

Article publié le mercredi 12 juin 2024 sur le site Syndicalistes !

Quelques semaines avant des élections législatives où l’extrême-droite plus forte que jamais pourrait bien accéder au gouvernement, que peut faire le syndicalisme ? Quelle action des militant·es de base pour être la hauteur de l’urgence politique, sans céder à un électoralisme naïf qui laisserait penser que tout se jouerait lors des deux tours du scrutin ? Pistes de réflexion… et d’action.

Des élections où il y a beaucoup à perdre

Pourquoi intervenir dans le jeu électoral, malgré la longue tradition de mise à distance des enjeux politiciens par le syndicalisme français ? Parce qu’il en va ni plus ni moins que de l’arrivée d’un parti ouvertement d’extrême-droite au gouvernement, mettant en jeu la survie même du mouvement syndical (parmi beaucoup d’autres choses). Que l’on pense à l’impressionnant appareil répressif bâti patiemment ces dernières années, et à l’usage qui en serait fait s’il venait à tomber entre les mains du Rassemblement national…

Nul besoin de tourner en boucle sur les entraves à la démocratie, la politique raciste, la répression tous azimuts, les attaques généralisées contre le salariat menées par Macron ces dernières années : nous avons été en première ligne pour les combattre, et sommes donc assez bien au courant de leur ampleur. Mais on parle ici d’un potentiel saut qualitatif dans la vitesse, la généralisation et la violence de l’offensive réactionnaire si l’extrême-droite venait à gagner ces élections. Sans parler de l’effet libératoire qu’elle aurait pour les violences policières ainsi que pour toutes les forces fascistes extra-parlementaires violentes, ou encore pour le patronat qui aurait une garantie d’impunité complète face à nos organisations syndicales, etc.

Il y a donc un vrai enjeu à freiner autant que possible l’extrême-droite lors de ces élections. Non pas que cela résoudrait la situation politique. Mais ce serait a minima un gain de temps, un répit avant les prochaines échéances électorales, et surtout l’occasion de retrouver une dynamique de victoire et un certain enthousiasme dans le mouvement syndical. Cela étant dit, comment contribuer à cette victoire depuis nos syndicats ?

D’abord, et c’est ce qui a déjà bien commencé, mettre une pression suffisante sur les forces de gauche pour qu’elles acceptent l’unité lors de ce scrutin. C’est non seulement une condition pour espérer un score acceptable, mais aussi pour envisager une mobilisation dans les syndicats, sans entre-déchirements entre militant·es appartenant à différents partis politiques. Il s’agit aussi d’impulser une dynamique, de permettre à tou·tes les militant·es sous le choc ou abattu·es par le climat politique de ces dernières années, de reprendre confiance, de relever la tête et de se jeter dans le combat.

Ensuite, faire un travail de conviction partout où nous sommes, auprès des salarié·es susceptibles de voter pour l’extrême-droite, en démontant le mirage social du Rassemblement national, et défendant pied à pied un antiracisme combatif. Mais aussi en allant chercher les salarié·es qui ne votent pas, en leur fournissant un appui technique au remplissage d’une procuration, en impulsant une dynamique de front populaire sur les lieux de travail, qui doit aller bien au-delà de ce que proposent les partis qui en sont actuellement à l’initiative.

Notre rôle est essentiel ici : de part son maillage, son implantation, son ancrage dans le salariat, le mouvement syndical de lutte, aussi diminué soit-il et malgré des porosités locales avec l’extrême-droite que, bien qu’exceptionnelles, il ne faut pas nier, demeure la première force antifasciste organisée. Il reste aussi le seul à même d’organiser le mouvement social nécessaire, après les élections, à la complétion d’une véritable dynamique de front populaire.

Ne pas s’enfermer dans le court terme

Mais il ne faut pas se faire d’illusions : quelle que soit l’issue de cette élection législative, nous aurons besoin d’un syndicalisme fort ensuite. Que la gauche l’emporte, et il faudra un mouvement social puissant pour imposer de vraies réformes et la pousser à aller au-delà d’un agenda très timoré (faut-il rappeler que les conquêtes de juin 36 l’ont largement été contre le gouvernement, par un mouvement ouvrier réveillé et revigoré par la victoire électorale de l’alliance des gauches ?). Que le parti présidentiel conserve sa majorité, alors seul un mouvement social encore plus massif que celui de l’année 2023 pourra stopper son glissement autoritaire et sa volonté d’en finir avec tous les droits salariaux. Enfin, que l’extrême-droite gagne, et elle aura un boulevard pour déployer ses politiques racistes et ultra-capitalistes : il faudra alors un syndicalisme solide pour tenir le coup. Et quoi qu’il en soit, une défaite électorale de l’extrême-droite ne solderait pas sa fin : ses partis sont désormais solidement ancrés localement, comptent des militants nombreux et formés, et se prépareraient à mieux revenir en 2027.

Ne faisons pas de fausses promesses, donc : tout ne va pas se jouer lors de cette élection. Nous ne sommes pas là pour faire croire que seul le jeu électoraliste en vaut la peine. Il faut traiter le moment à la hauteur de ses enjeux réels, sans les exagérer ni les minimiser : oui, nous devons diminuer autant que possible le nombre de sièges qui reviendront à l’extrême droite à l’Assemblée, et y envoyer le maximum de député·es de gauche (aussi molle soit-elle) que possible. Mais sans en faire la seule carte à jouer : la dynamique de ces prochaines semaines doit permettre de lancer un travail dans la durée, seule voie possible pour renverser le cours des choses.

Travail dans la durée pour se préparer au pire : que l’extrême-droite gagne les prochaines élections ou non, elle ne restera pas loin du pouvoir, et il faut dès aujourd’hui anticiper ce que deviendraient nos organisations sous un régime autoritaire assumé, comment continuer nos activités militantes, comment faire face à une répression démultipliée, etc.

Mais travail dans la durée aussi pour préparer le meilleur : pour porter l’ambition syndicale de transformation sociale radicale, autour d’une extension de la Sécurité sociale et de la rupture écologique. Parce que c’est l’objectif qu’on poursuit, et parce que pour défaire la vision sociale raciste de l’extrême-droite, il faut y opposer d’autres aspirations et d’autres projets susceptibles de soulever l’enthousiasme.

Ces deux faces doivent être tenues ensemble, et abandonner l’une des deux serait se condamner à l’impuissance. Toutes deux, très concrètement, demandent un effort massif de syndicalisation, un mouvement déterminé et volontariste en direction des salarié·es non syndiqué·es, un travail d’organisation redoublé, une mobilisation généralisée des équipes militantes.

Tout cela demande de ne pas dilapider son énergie. Les rassemblements symboliques entre convaincu·es peuvent être utiles pour peser sur l’union des forces de gauche, mais ils ne convaincront pas les électeur·ices, et ne permettent que rarement d’organiser de futur·es militant·es. Si nous y participons, ce doit être en cherchant à y discuter pour « prendre la température » des présent·es, et pour montrer que nos syndicats sont un débouché concret aux volontés de mobilisation. Mais l’efficacité de notre action dans ces prochaines semaines sera d’abord fonction du temps passé avec celles et ceux qu’on ne voit pas d’habitude : les syndiqué·es et syndicats qui se trouvent hors de la vie de l’organisation et qu’il s’agit de remobiliser, mais aussi les salarié·es non syndiqué·es, les déserts syndicaux – typiquement dans les secteurs féminisés – où aucune voix de gauche ne va jamais porter.

Une responsabilité syndicale

Un risque serait que les forces syndicales ne viennent qu’en appui de la dynamique lancée par les partis politiques, en leur délégant un rôle d’impulsion et de production des mots d’ordre. Ce serait tomber dans l’illusion d’une autosuffisance des élections. Encore une fois, on ne stoppe pas l’extrême-droite en un jour. La montée du fascisme est aussi le produit de l’affaiblissement du mouvement syndical, de son incapacité à adapter ses structures pour organiser le salariat actuel et de proposer une perspective émancipatrice rassembleuse et crédible.

Il est tard… mais attendre n’y changera rien. Ne serait-ce pas le moment, dans l’urgence, de s’atteler enfin à la refondation syndicale nécessaire pour nous doter d’une organisation de classe capable de gagner contre l’extrême-droite ? En remisant les esprits de chapelle de tous côtés pour travailler à une unification du pôle combatif du syndicalisme, qui devra être l’occasion d’une remise à plat des structures avec un seul objectif en tête : impulser une dynamique d’organisation capable de syndiquer massivement et de multiplier les luttes sur la durée, dès les prochains mois. Par exemple en (re)lançant en urgence des Unions locales (intersyndicales si possible) dans les territoires où il n’y a plus aucune présence de gauche, en y dédiant des moyens humains et financiers importants, pour refaire exister une autre voix politique dès maintenant là où l’extrême droite a le champ libre. 

Les syndicats, par leur incapacité à se réformer pour se renforcer et faire face aux évolutions récentes du capitalisme, ont leur responsabilité dans la situation politique actuelle. Il s’agit donc de ne pas se dédouanner de ce qu’il adviendra ces prochaines semaines en se disant que la balle est désormais dans le camp de la gauche unie, mais de prendre pleinement notre part au combat antifasciste et de nous atteler à la reconstruction à la base de forces organisées capables de résister à l’extrême-droite.

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