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Dans le privé et le public, un syndicalisme de lutte pour la transformation sociale

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(re)Penser notre syndicalisme

Que peut une UD Solidaires en Seine-Saint-Denis ?

Les émeutes de juillet 2023 l’ont rappelé – sans qu’il y en ait besoin pourtant : les quartiers populaires sont en très grandes souffrances. En tant que syndicalistes, cela doit nous inquiéter. Or nous sommes toujours en peine d’une stratégie qui permettent de syndiquer de façon significative les habitant·es (travailleurs et travailleuses, chômeuses et chômeurs, étudiants et étudiantes, au minima sociaux, au foyer) mais aussi celles et ceux qui travaillent dans ces quartiers. Solidaires 93 a, à ce titre, un travail particulier à faire.

Si tous les quartiers populaires du pays ont des traits communs, qui recoupent aussi parfois des problèmes des territoires ruraux, la Seine-Saint-Denis a la particularité d’être le département de métropole qui connaît tous les problèmes sociaux et territoriaux dans une concentration sans équivalent ! Or non seulement l’État n’y fait rien, mais on peut même affirmer qu’il y a largement contribué. La Seine-Saint-Denis représente 40 villes (de 10 000 à 130 000 habitant·es), soit plus d’un million et demi de personnes, sans compter des centaines de milliers de personnes qui y travaillent. Les habitant·es et les travailleur·ses ne sont pas, pour une large partie, les mêmes personnes. Du point de vue de la structuration syndicale, ces données compliquent la donne. Elles sont le résultat de l’histoire de la constitution du département, en lien avec le centre de Paris. Une histoire souvent méconnue, qui se double d’une méprise et d’un mépris sur l’histoire sociale de ce territoire. Comme si rien n’avait jamais existé…

L’histoire de Solidaires, syndicat qui a toujours été ouvert sur les luttes sociales et sociétales constitue un point d’appui pour construire un syndicalisme ancré dans le territoire. La complexité de la Seine-Saint-Denis vient cependant du fait qu’en sus d’un discours et d’une histoire imposée par le centre, Solidaires se heurte aussi à ce qui a été construit dans le département par le « monde communiste », relayé dans l’espace syndical par la CGT. Cette deuxième histoire est aussi écrasée par l’histoire du centre. C’est donc un tissage complexe pour Solidaires que de frayer sa route tout en intégrant des pans d’histoire sociale du département.

Éléments de socio-histoire du 93

Quand on parle du 93 pour pouvoir essayer de s’organiser, tout détonne. En 2020, une enquête de l’INSEE amenait le Parisien à qualifier le département de « département de tous les records ». En effet, concernant les habitant·es, le taux de chômage y est autour de 10 % des actifs et actives, le nombre de personnes au RSA, autour de 80 000, soit près de 12 % des actifs et actives. Le département polarise ses emplois entre une augmentation des professions de cadres promises à une population peu issue du territoire et des professions d’employé·es et d’ouvrier·es souvent mal payé·es. Parmi les éléments les plus frappants, il y a ceux liés à la répartition emplois/habitant·es. En 2010, « Moins d’un actif résident sur deux (46 %) travaille en Seine-Saint-Denis » [1]. Pas sûr que ça ait beaucoup changé. Par ailleurs, « plus de 70 % de ces emplois hautement qualifiés sont occupés par des non-résidents, soit le plus fort taux de France métropolitaine. »

Ainsi du point de vue du travail, l’organisation de la Seine-Saint-Denis est un vrai casse-tête. On y nomme les néo-fonctionnaires, souvent averti·es qu’ils et elles arrivent dans une jungle, on laisse les habitant·es du département à des postes « bas », et on pousse les plus diplômé·es à partir, le plus souvent sous prétexte d’éviter toute forme de « favoritisme ». Ces distinctions recoupent aussi les origines des travailleurs et travailleuses ainsi que leur couleur de peau. Cela pousse les habitant·es qui veulent monter dans la hiérarchie à partir, et même à haïr le département où ils/elles ont grandi. Cette organisation économique n’est pas qu’un enjeu géographique, elle touche à la possibilité même d’une conscience de groupe, et évidemment d’une conscience de classe. Elle permet à l’État de construire un 93 contre le 93 en excluant les habitant·es des processus sociaux, politiques et économiques du département. L’État fait ainsi ce qu’il veut du territoire, sans possibilité pour les « locaux » de résister. Par ailleurs, il existe un réel syndrome du 93, notamment chez les militant·es syndicaux et politiques qui arrivent. Si ceux-ci et celles-ci peuvent être attiré·es par le caractère explosif du département, ils/elles se trouvent vite confronter à une violence sociale qu’ils/elles ne peuvent supporter. Cela entraîne deux attitudes. Une première attitude prend la forme d’un mépris contre le département, ce qui fait des militant·es dont l’objectif principal est de partir. Ils et elles se désintéressent de la lutte sur le territoire, pour se concentrer sur des intérêts corporatistes. D’autres se transforment au contraire en « sauveur ». Le 93 est notamment touché par un phénomène de militant·es qui ne cherche pas à connaître l’histoire des lieux, et agissent aussi inconsciemment avec l’idée d’« aider » charitablement un département – et ses pauvres cosmopolites – délaissé. Beaucoup de départs font suite à des dépressions et un immense sentiment d’impuissance. L’État consomme ceux et celles qui luttent ici et il y faut beaucoup d’énergie et de piliers sur lesquels s’appuyer pour tenir.

Il y a un vrai enjeu syndical pour tenir sur les revendications d’égalité de droits, souvent tellement basiques qu’on ne les met plus en avant. Solidaires 93 et les syndicats qui en font partie ont ainsi, à plusieurs reprises, tenté d’impulser des campagnes sur des thématiques de base :

  • Des milliards pour le service public.
  • Des médecins dans les écoles.
  • Des investissements dans les hôpitaux.
  • Une vraie couverture du territoire de l’inspection du travail.
  • Des transports décents (certaines zones d’un département parmi les plus urbanisés de France ne sont desservis par aucun transport).

On ne le rappelle pas assez mais ce dont nous avons besoin c’est d’une égalité de droits, pas d’une charité militante. Cela passe par une reconnaissance comme territoires de luttes, pas par des cours sur comment on doit lutter ! À ce titre, il est important de rappeler qu’à sa création, en 1968, le département a dû lutter pour récupérer l’essentiel des prérogatives détenues par Paris. Il a fallu arracher des hôpitaux, arracher des lycées, arracher le transfert de la gestion des logements sociaux par les municipalités et le département, arracher la création de vrais tribunaux. Tout cela a été obtenu par des luttes des habitant·es et des travailleur·ses (notamment du monde communiste). Chaque station de métro sortie de terre, chaque nouvelle ligne de tramway a 30 ans de luttes derrière elle.

La Seine-Saint-Denis a une histoire de luttes…

Sans doute faut-il ajouter… « mais une histoire CGTiste ». L’implantation de Solidaires 93, autour de 1999, s’est faite à un période charnière pour le mouvement social français. Solidaires débarquait dans un département encore emprunt de son histoire communiste mais déjà grignoté par la fin des sociabilités politiques forgées durant le XXe siècle. Terre rouge parmi les terres rouges, et ce dès la fin du XIXe siècle, les villes qui composent la Seine-Saint-Denis ont été maltraitées, discriminées, reléguées, exploitées et oppressées. Face à cela, c’est plus d’un siècle de luttes qui fait l’histoire de ces villes, regroupées dans le département du 93, à la suite de la réforme territoriale de 1964. L’identité du 93 a ensuite été forgé par le Parti communiste, via des figures comme George Valbon, qui fut le premier président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, mais aussi le maire de Bobigny, la préfecture du nouveau département. À cette identité communiste se sont ajoutées des identités liées aux nombreuses catégories qui y furent reléguées : Algériens et pieds noirs arrivés dans la foulée de 1962, Antillais pris au pays pour faire tourner les services publics régionaux, « jeunes des cités »… jusqu’aux identités politiques contemporaines contre les violences policières, les luttes pour l’éducation prioritaire… Longtemps, tout se faisait en fonction du PCF et de la CGT, sans compter toutes les associations amies ou affiliées. En pour ou en contre, mais en fonction de… Cela était un problème du point de vue de la pluralité politique et syndicale, mais c’était aussi une protection. Une identité forte permettait de forger des solidarités d’ampleur dans les villes, et entre villes, du département.

Le département reste très marqué par cette empreinte communiste et cégétiste. Les locaux confédéraux de la CGT sont d’ailleurs installés à Montreuil. La CGT continue à être présente dans tous les secteurs d’activité et elle progresse dans de nouveaux secteurs comme l’enseignement. Elle est ainsi une composante historique et actuelle majeure du département. La Seine-Saint-Denis s’est forgée au fil des luttes autour de 1936 déjà, puis 1968, sans compter l’après-guerre, mais aussi les luttes d’usines de métallurgie ou d’automobile comme celle des Mécano de La Courneuve en 1976, Alsthom à Saint-Ouen en 1979… Ou enfin les luttes pour les services publics, en particulier le service public d’éducation comme lors de la grande grève de 1998. Le département s’est aussi construit au fil des luttes internationales en soutien aux Espagnol·es, aux Algérien·nes, aux Vietnamien·nes, aux Chilien·nes [2], aux Sud-Africain·nes [3], aux Palestinien·ens… autant d’éléments dont il porte les traces. Sans compter les plus de 190 langues qui y sont parlées.

Bien entendu, cette identité forte en a effacé d’autres, plus marginales, plus fragiles, mais tout aussi importantes. Ce sont les luttes pour l’égalité des droits des immigrés, notamment dans les foyers de travailleurs étrangers (1975-1979). Ce sont les luttes des locataires des grands ensembles (Les Courtillières en 1969, les 4000 en 1980, etc.), ou aujourd’hui les luttes contre les violences policières, qui prennent de l’ampleur depuis 2005 et l’assassinat de Zyed et Bouna, deux jeunes garçons de Clichy-sous-Bois. Ce sont aussi les luttes écologistes pour faire émerger des parcs (dans un territoire qui était encore une immense plaine agricole à la fin du XIXe siècle). La défense des jardins ouvriers ne date pas de la lutte contre les Jeux olympiques de 2024, elle commence dès l’après Seconde Guerre mondiale.

En tant que syndicat plus récent – même si déjà âgé de presque 25 ans – se pose pour nous la question d’assimiler ces histoires, pour les faire nôtres et s’appuyer sur elles pour construire les luttes d’aujourd’hui. Position d’autant plus difficile que nous avons été les témoins et les « victimes » des velléités hégémoniques de la CGT. Nous sommes aussi les témoins de la volonté des autres syndicats de nous ostraciser. Contre cela, les réactions ont souvent été dures. Solidaires a même récupéré des sections CGT, au demeurant pas toujours très propres. Mais sur un territoire victime d’une colonisation permanente et d’un effacement autoritaire, faire avec, c’est aussi accepter d’intégrer l’histoire des autres, de ceux et celles qui ont précédé, qui ont lutté avant et pour nous. Si nous voulons stopper la violence sociale qui s’exerce sur le département, il est nécessaire de ne pas faire comme l’État, en niant l’existence d’un tissu social existant. Nous devons intégrer ce tissu social. Dans des territoires qui sont à ce point écrasés par l’État, nous nous devons d’être exemplaires en matière d’unité à tous les niveaux. À ce titre, le travail en interprofessionnel est une réponse sans commune mesure !

L’interprofessionnel comme territoire

On a parfois le sentiment que le mot d’interprofessionnel recouvre un grand vide, beaucoup estimant qu’il y a « leur secteur » et l’interprofessionnel. Dans un même mouvement, les difficultés actuelles du syndicalisme sur le lieu de travail tendent à attirer les militant·es vers l’interprofessionnel, mais l’interprofessionnel est faible sans les syndicats. Il semble pourtant certain que l’interprofessionnel – entendu comme une rencontre de plusieurs secteurs égaux entre eux et qui souhaitent débattre ensemble – est l’une des pistes majeures pour aborder le territoire dans sa complexité et son ensemble. Le syndicat interprofessionnel est tout simplement un lieu magique pour appréhender la complexité d’un monde et d’un territoire. De façon simple, l’interprofessionnel est le meilleur lieu de rencontre d’un territoire et de confrontation des situations. Les différences de composition des syndicats permettent de faire se rencontrer des catégories sociales très différentes les unes des autres, de se croiser entre personnes aux origines différentes. Un jeune enseignant arrivé d’une ville moyenne, lointaine et plutôt blanche, pourra ainsi rencontrer une hospitalière ayant fait toute sa carrière dans un hôpital du coin ou un trentenaire maintenu catégorie C dans une collectivité territoriale. Ce sont aussi des rencontres entre des agents sociaux et des chômeurs (que Solidaires 93 peut syndiquer directement). Un travailleur de la culture pourra se confronter au fait que sa profession sert à gentrifier telle ou telle quartier… L’interprofessionnel doit pouvoir transcender les groupes et les barrières. C’est un espace qui peut à la fois servir de lieu d’accueil, de lieu de superposition des histoires (celles qui nous précèdent et celles qui nous font aujourd’hui). Le syndicat doit pouvoir se constituer comme une protection mais aussi une entrée dans le territoire.

Se structurer de façon départementale !

Tous ces éléments un peu théoriques en tête, reste à savoir comment organiser l’interprofessionnel, qui plus est sur l’ensemble du département. Le 93 a l’avantage et le désavantage de ne pas avoir de centre. Cela évite de se polariser autour d’une ville ou d’un secteur, mais cela rend aussi plus difficile le fait de se voir.

L’outil Union locale. Les UL sont une réponse à cette situation mais aussi une réponse à la complexité sociale et historique du territoire. Les Unions locales dépendent toutes de l’Union départementale, qui en valident l’existence puis les laissent fonctionner. Chaque UL développe ainsi son propre fonctionnement en lien avec son territoire. Certaines couvrent une ville, d’autres un ensemble de villes. Ces UL naissent et meurent d’ailleurs régulièrement en lien avec les militant·es qui les font vivre. C’est avec le mouvement de 2016 que nous avons connu une apogée des UL avec six existantes : Montreuil-Bagnolet, Saint-Denis et alentours, Aubervilliers-Pantin, Aulnay-Sevran-Tremblay, Bondy et Bobigny-Drancy. Aujourd’hui trois UL sont stabilisées :

  • Une UL Montreuil, la plus ancienne, qui fait beaucoup d’accompagnements juridiques, et a transmis son savoir-faire en la matière vers Aubervilliers, et désormais Saint-Denis.
  • Une UL Saint-Denis, la plus diverse et la plus dynamique sur les luttes sociales.
  • Une UL Aubervilliers-Pantin-La Courneuve.
    Une nouvelle UL est en construction à Bagnolet – Les Lilas – Romainville, à la suite du mouvement contre la retraite à 64 ans. Quant aux ex-UL Bobigny, Noisy-le-Grand et Aulnay, elles permettent de maintenir de petits réseaux sur les lieux en question, mais elles n’ont plus de réalité. L’UL Bondy a de son côté une trajectoire particulière. C’est une ancienne UL CGT, qui s’est avérée une véritable épine dans le pied de l’UD. Elle a fini par être dissoute en 2017 par suite de pratiques douteuses. Elle rappelle les difficultés à s’implanter des petites villes du département où la politique est souvent réduite à une expression clientéliste.

Malgré toutes ces difficultés, ces UL constituent une UD vivante. Elles sont une véritable force. Notamment par une capacité de réaction assez forte dans les villes où elles existent. Mais aussi par le fait que les UL peuvent – plus que l’UD – de bousculer les syndicats. Occupant une place de choix sur le terrain, elles permettent souvent une confrontation fructueuse sur les questions démocratiques. Ainsi l’UL Saint-Denis est très active sur les questions de violences sexistes et sexuelles. Elle est un lieu d’accueil pour les militantes, qui n’ont pas nécessairement l’oreille attentive de leur syndicat. Les UL peuvent aussi se retrouver à prendre en charge des situations juridiques, mal gérée par une équipe syndicale, qui serait, par exemple, trop proche d’une direction ou travailler à accompagner une équipe dans une boite. Ces UL renforcent donc notre implantation tout en permettant une forme d’unité des syndicats Solidaires. Elles offrent aussi une meilleure présence des syndicats. Ainsi les camarades du Rail – et plus largement les camarades des transports – concentrés le long des lignes (deux réseaux ferrés traversent le département) se connectent plus facilement à leur UL qu’à une UD souvent lointaine. Les camarades étudiant ?es sont aussi plus enclins à suivre les UL que l’UD. L’UL Saint-Denis a longtemps accompagné une section isolée dans le commerce… Dans les syndicats présents sur tout le territoire, cela permet à des camarades qui n’ont pas de mandats départementaux de s’investir dans l’interprofessionnel au quotidien. Les forces sont ainsi multipliées au moment d’organiser des formations, des manifestations, etc. Ces UL permettent enfin de prendre en charge les nombreuses situations de précarité du département. Elles peuvent suivre à la fois les questions de logement, de papiers ou encore les différends avec Pôle emploi.

Mais si les UL s’adaptent au territoire, l’UD doit en être la coordination. Il s’agit précisément de faire vivre tout un territoire, et non de remorceler, voir de développer des concurrences. Nous restons ainsi attentifs et attentives à ce que tout le monde reste le plus possible en dialogue. C’est pour le coup le rôle du secrétariat de créer du lien entre des militant·es d’UL et de syndicats différents pour qu’ils et elles avancent ensemble, s’entraident, etc. Un planning permanent de toutes les actions est d’ailleurs disponible sur notre site. Il est issu d’un outil similaire que nous animions durant la grève et reprenait, ville par ville, secteur par secteur, chaque action, rassemblement, discussion, AG.

Vers une organisation sans centre. Du fait du développement des UL, l’UD apprend aussi à se décentraliser. Longtemps polarisée sur Saint-Denis, en lien avec la composition du bureau de l’UD mais aussi de l’existence d’une très belle Bourse du travail, l’UD a entamé un travail de rééquilibrage du territoire. Désormais, les réunions se font à tour de rôle sur les quatre pôles importants de notre activité du département : Saint-Denis, Montreuil, Aubervilliers et Bobigny [4]. Et nous restons ouvert·es à un élargissement en lien avec les évolutions à venir. L’autre élément est le renforcement d’une mise en lien entre syndicats qui a toujours peiné à se faire. En 2016, nous avions lancé une grande campagne « 4 milliards pour les services publics », qui avait constitué un premier élément de rencontre entre des syndicats qui ne se parlaient pas. Si la campagne n’a pas eu un grand succès, elle a permis de vraies rencontres entre des secteurs de la fonction publique qui ne se connaissaient pas. Par la suite, des rassemblements devant les hôpitaux ont ramené des camarades des autres secteurs. En 2019, était décidé la constitution d’une liste d’échanges de tout le département. En 2021, la brochure sur les JO 2024 a été diffusé par tous les secteurs et dans toutes les villes. En 2022, la campagne en soutien à une comédienne licenciée par un théâtre local de la ville de Stains a été co-portée par l’UD et SUD Culture, avec l’idée de mêler questions du travail et discriminations territoriales. SUD collectivités territoriales Stains apporta d’ailleurs son soutien, y compris en s’attaquant à la non-réaction de la mairie vis-à-vis d’une structure massivement subventionnée. Par ailleurs, depuis 2021, Solidaires 93 organise ses propres formations, à côté de celles proposées par le CEFI-Solidaires d’Île-de-France. Cela permet de réfléchir à des formations spécifiques, qui partent des problèmes particuliers rencontrés par les équipes syndicales ou les UL.

Un autre élément important est le retour à la mise en place de manifestations, AG, etc. sur les villes. Depuis 2016, notre UD soutient, impulse et visibilise les actions dans toutes les villes. En 2019, les militant·es ont réussi à mettre en place de nombreuses AG interprofessionnelles, qui ont structuré un mouvement contre la réforme de la retraite à points. Plusieurs manifestations départementales ont aussi été organisées, malgré les réticences, au départ, de la CGT. Le mouvement de 2023 a, de nouveau, été l’occasion de mettre en place des manifestations sur tout le département. Ainsi, près de 30 villes sur 40 ont vu passer une manifestation ou marche aux flambeaux. Ces frémissements sont très clairement le début d’un travail d’une reconquête du territoire qui se fait. La mémoire des anciens et anciennes rappelle qu’en 1936 comme en 1968, ce sont les lieux de travail dans les villes mêmes qui étaient occupés, cela a permis l’explosion des luttes ensuite sur le logement, la santé, etc. via des réseaux formés pendant les occupations. Il est évident que les choses évoluent et qu’une nouvelle occupation territoriale est en train de se mettre en place. Il y a la naissance – pour la première une fois – d’une intersyndicale regroupant tout le monde lors des grèves de 2023 ; mais aussi un travail CGT-FSU-Solidaires renforcé, avec aussi la volonté commune de se lier avec des associations à l’occasion de la marche du 23 septembre et par la suite, la proposition de faire des temps féministes communs autour du 25 novembre et du 8 mars, le tout dans des villes différentes. Tout ceci montre un vrai dynamisme. Sans compter que Solidaires 93 développe ses propres rencontres, comme cela a été le cas pour préparer la grève contre la réforme des retraites en 2023.

Il reste du travail, mais l’une des principales qualités des habitant·es du département, c’est leur patience… alors rien ne sert de courir… il faut construire à point. Et faire avec le terrain tel qu’il est. [5]


[1Insee IDF no 340, juillet 2010.

[2] Par exemple Salvador Allende « possède » à lui seul au moins deux cités HLM à Saint-Denis et Villetaneuse, une PMI à Villepinte, une maison de retraite à Stains, un centre de santé à La Courneuve, une place à Pierrefitte ou une avenue à Montreuil…

[3] Nelson Mandela a au moins un collège au Blanc Mesnil, des stades à Saint-Denis et La Courneuve, un espace culturel à Épinay et à Bondy, un centre de loisir au Pré Saint-Gervais ou encore un centre social à Romainville…

[4] Villes où les UL ou l’UD a obtenu des locaux dans les Bourses du travail.

[5] Ce texte a été rédigé pour la revue Les Utopiques (numéro 24, « syndicalisme et territoires », hiver 2024). Anouk Colombani est membre de SUD Culture Solidaires et de l’Union départementale Solidaires Seine-Saint-Denis (93) dont elle est co-secrétaire. Elle est également une des animatrices du site Rue de la Commune et des activités liées.

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